- Home
- Odile Gine - Attraction Virale Du Jeu Vidéo
- Odile Gine - Attraction virale du jeu vidéo
Territoires : Auvergne-Rhône-Alpes, Bretagne, Île-de-France, Occitanie
Depuis la pandémie de Covid, les pratiques socioculturelles des Français ont évolué. Le jeu vidéo s’est imposé comme médiateur de lien social et a permis aux personnes seules de recréer des relations avec leurs amis, leur famille ou en communauté. Ce reportage dresse les portraits d’un psychologue, d’un professeur d’histoire, d’associations LGBTQI+ et intergénérationnelles, femmes, hommes et transgenres, afin de comprendre leur motivation et leur passion pour le jeu vidéo.
Née en France en 1969. Vit à Neuilly-sur-Seine. Après une maîtrise en arts du spectacle et en audiovisuel, Odile Gine s’oriente vers la pédagogie de l’image auprès de lycéens et d’étudiants et pratique la photographie en autodidacte. En 2013, elle se forme à l’Efet photographie à Paris. Son travail traite des questions identitaires humaines et animales. Depuis 2016, son travail est publié dans la presse et exposé. Elle est membre de Hans Lucas.
Accéder au site du photographe
Journal de Bord
ATTRACTION VIRALE DU JEU VIDÉO
©Odile Gine
Ce journal de bord – dit « Carnet de bord » - a été produit dans le cadre de la grande commande nationale « Radioscopie de la France : regards sur un pays traversé par la crise sanitaire » financée par le Ministère de la culture et pilotée par la BnF.
1. POINT DE DEPART
Mai 2022
Le reportage doit commencer le 15 juin. Nous avons jusqu’au 15 janvier 2023 pour le réaliser, puis jusqu’au 15 mars pour finaliser les tirages photos.
Le délai imparti peut paraître long, mais les recherches pour trouver les différents profils de gamers et de gameuses à photographier ainsi que les lieux prennent beaucoup de temps. Il y a les recherches, les contacts, les relances, les rendez-vous ou les refus…
Ne partant de rien, d’aucune source, j’avais tout à faire. Je savais que j’allais devoir ouvrir beaucoup de portes dans un milieu que je connaissais mal. Sept mois pour les prises de vues – recherches incluses – me semblait plutôt court. Ainsi, dès le mois de mai je commençais à me documenter sur les évènements relatifs au jeu vidéo prévus à Paris, une façon de m’initier, dans un premier temps, à l’univers du gaming.
Après multiple recherches sur internet, j’ai eu la chance d’être dans les temps pour participer au Paris Fan Festival qui se tenait du 7 au 8 mai. Je contactais aussitôt l’agence qui s’en occupait pour obtenir une accréditation, puis je préparais un appel à témoignage et j’envoyais le fichier fini à l’imprimerie pour en obtenir des flyers. Je les distribuerai sur place.
Dimanche 8 mai 2022
Paris Fan Festival, Paris
Ce festival réunit les différents acteurs de la pop culture. On y trouve ainsi des stands de mangas, de comics, de jeux de cartes et de jeux vidéo, ainsi que des conférences.
« Mangas, super-héros, science-fiction, fantasy, gaming », peut-on lire sur la brochure.
En circulant parmi tous les stands je découvre cet univers, encore plus surprenant que ce que j’imaginais. Spider-Man circule lui aussi parmi les festivaliers et se fait prendre en photo. Quel succès ! Puis un énorme dinosaure croise mon chemin pour se faire à son tour photographier par les badauds, dont la moyenne d’âge se situe entre 10 et 40 ans. Beaucoup de parents accompagnent leurs enfants. Je les retrouve aussi sur les stands de rétrogaming. Pas loin, se tient le stand de Star Wars. J’en profite pour demander au jeune homme à l’accueil si son public rejoint également celui des jeux vidéo. Sa réponse affirmative me motive à lui expliquer mon projet et à lui laisser quelques flyers. Concentrée sur ce que je lui expose, je n’ai pas senti la présence de deux soldats impériaux qui m’entouraient ! Je tourne la tête… Sursaut, puis rigolade ! Je continue mon exploration…
Je prends quelques photos d’ambiance, pour le plaisir, mon reportage étant construit seulement autour de portraits je ne les utiliserai pas. La scène principale propose « Le défi gaming ». Les spectateurs sont nombreux et regardent jouer les compétiteurs sur scène. Lacompétition est visible sur un immense écran. Le dispositif est aussi impressionnant qu’un plateau de télévision avec sa régie et son éclairage.
Direction le stand rétrogaming qui met à disposition plusieurs bornes d’arcade. Une femme, la quarantaine, joue avec deux adolescentes. Ses filles peut-être ? Je lui pose la question. Elle confirme. Puis je lui explique mon projet. Je cherche des parents qui jouent avec leurs enfants. Veut-elle participer ? Elle refuse poliment, mais fermement.
Je refais un tour, puis discute avec un vendeur de figurines et de goodies comics. Sa clientèle est également constituée de gamers et de gameuses. Il accepte mes flyers. À côté, une librairie. Comics, figurines et mangas remplissent le stand. Nouvelle discussion avec le responsable. Il est lui-même passionné de jeux vidéo. Je lui laisse quelques flyers.
Je parcours les couloirs quand j’aperçois un couple au look très « pop culture ». Je le rejoins et lui explique à nouveau mon projet. Il est intéressé.
Le soir-même, la jeune femme du couple m’envoie un mail détaillant leur parcours dans le monde du gaming. Âgé de 28 et 32 ans, le couple est fan de pop culture et de gaming depuis l’enfance et participe activement à des conventions de jeux vidéo. Elle précise que c’est un couple de filles. Effectivement, sous leur sombre panoplie, je ne l’avais pas remarqué. Voilà qui offrira un profil supplémentaire. Je m’empresse de lui répondre pour fixer un rendez-vous téléphonique.
Cette première expérience me fait réaliser à quel point l’univers du gaming est riche en culture et représente une immense communauté. C’est une industrie bien présente, un monde parallèle au mien comme à beaucoup d’autres personnes qui classent les jeux vidéo parmi les addictions et la violence. Au fil de mes recherches, je découvre qu’il existe différents genres de jeux vidéo. Les réduire à une catégorie c’est comme réduire la musique au rap ou le cinéma aux films d’horreur…
Samedi 21 mai
Soirée déguisée Next Gaymer, Paris
Après avoir réfléchi aux personnes que je souhaitais photographier, je voulais un panel représentatif des gamers et des gameuses. Pas si simple. Les profils sont tellement variés que je ne pourrai présenter dans ce reportage qu’une liste non exhaustive. Mon sujet s’appuyant sur trois axes - territorial, sociologique et psychologique-, j’aborderai, entre autres, les genres et les communautés. Pas si facile non plus. Je dois veiller à ne pas tomber dans les stéréotypes.
À travers mes recherches, j’ai découvert l’association Next Gaymer. Celle-ci se présente comme la « première association pour les geeks et les gaymers LGBT + ».
En plus de son forum où gaymers et gaymeuses se retrouvent pour jouer en ligne à l’abri de propos homophobes, elle organise régulièrement des rencontres IRL (In the Real Life). Next Gaymer se veut ainsi une communauté conviviale pour « vivre de sa passion sans être discriminée ».
Je regarde le calendrier des évènements « IRL » à venir. Soirée déguisée le 21 mai à Paris. D’autres sont également organisées à Lyon et Lille. Top ! Je suis encore dans les temps !
Je contacte le président de l’association pour lui faire part du reportage et lui explique en quoi mettre en avant son association est important pour montrer la diversité des publics de gamers et gameuses. Il accepte et m’invite à le retrouver ainsi que les membres à la soirée du 21 mai. Entre-temps, je reste en contact avec la vice-présidente. Si j’ai des questions, je lui envoie un sms ou nous nous téléphonons directement. Elle se montre très disponible et très patiente aussi. Étant novice, je peux poser des questions assez basiques… Je l’ai prévenue, et je trouve justement intéressant de porter ce projet avec comme point de départ, une culture vidéoludique quasiment inexistante. Au fil du temps et des recherches, je découvre avec enthousiasme que les jeux vidéo, utilisés à bon escient, représentent une source de culture, d’évasion et de lien social inépuisable. Et je souhaiterais partager cette découverte avec des personnes qui s’en tiennent à des préjugés, malheureusement trop généralisés.
Samedi 21 mai, 20 heures
Arrivée au siège de LGBT où se tient la soirée. Next Gaymer n’a pas de local.
Accueil chaleureux. Le président me reçoit, et bien qu’il soit sollicité de toute part, il prend le temps de m’expliquer le déroulement de la soirée, me fait visiter les locaux et écoute avec attention quelles sont mes recherches de profils. Je le préviens que ma présence n’est pas pour distribuer mes cartes de visites mais pour discuter des jeux vidéo avec les membres. Les quelques photos que je prendrai ne me serviront pas pour le reportage mais pour témoigner de l’ambiance du moment. Et je garderai seulement pour l’association les photos dont les personnes seront identifiables. Je souhaite profiter de l’effusion joyeuse de la soirée, et si j’arrive avec mes attestations de droits à l’image à faire signer, il est évident que l’ambiance en sera faussée !
L’esprit est bon enfant. Certains sont parés de costume de Spider-Man, Batman, Mario Bros, Pikachu, Dragon Ball, Arthur Morgan, ou en militaire, et bien d’autres…
Au rez-de-chaussée, des écrans et des consoles ont été installés pour jouer en communauté, et au sous-sol, une salle avec un DJ offre de quoi se dépenser. Un show animé par deux drag-queens plonge la soirée dans une ambiance cabaret le temps du spectacle.
Les hommes sont beaucoup plus nombreux que les femmes et lorsque j’en fais part au président, il souhaiterait qu’elles viennent davantage. Je continue à déambuler parmi les gaymers. J’ai ainsi pu discuter avec un certain nombre d’entre eux. Un couple m’a accordé beaucoup de temps. Puis, un groupe de quatre, en train de jouer à Mario Kart, me demande si je joue aux jeux vidéo. « Non »… Soudain, pris par un élan collectif, les quatre jeunes hommes m’installent à leur côté et me donnent une manette. Et c’est parti pour jouer à Mario Kart avec eux ! Je dois choisir mon personnage : la motarde aux cheveux blonds me convient très bien. Mais je ne sais même pas à quoi correspondent les différents boutons ! Un membre m’explique. Je n’arrive pas à manier la manette ! À la fin de la partie, l’écran, divisé en quatre, affiche le score des joueurs. Je suis l’avant-dernière. Je soupçonne qu’un des joueurs a eu l’élégance de perdre pour que je ne me retrouve pas la dernière.
L’ambiance est particulièrement bienveillante. Il suffit que je m’installe à côté d’une personne pour qu’elle me parle, ravie d’exprimer son engouement pour les jeux vidéo. Quelques-uns me conseillent sur les jeux vidéo à découvrir, d’autres me donnent des noms de bars qui organisent régulièrement des rencontres de jeux. Je ne prends pas de notes – pour ne pas casser le mouvement – mais je mémorise tout. Du moins je vais essayer de retenir le maximum d’informations jusqu’à ce que je les note dans mon « journal de bord ».
Il est tard. Je les laisse. La soirée va certainement durer toute la nuit. Demain je recontacterai la vice-présidente.
Juin 2022
La distribution des flyers lors du Paris Fan Festival n’a abouti à rien. Aucun contact concret. Le jeune couple avec qui j’avais échangé n’avait plus donné suite au moment où je leur ai proposé un premier rendez-vous. Elles habitaient en Région et je me serai pourtant déplacée. Je pense que cela n’arrivera pas qu’une fois. Je comprends qu’on puisse avoir envie de témoigner pour un sujet, une passion, mais que lorsqu’il s’agit de s’exposer directement devant un appareil photo, cela relève d’un grand courage pour certains.es. Et petit détail supplémentaire : je photographie les personnes chez elle… dans leur intimité. Accepter c’est beaucoup donner. J’en suis consciente et j’espère que le reportage pourra se construire autour de personnes désireuses d’ouvrir - de nous ouvrir - leur porte.
Lorsque par la suite, j’avais sillonné le quartier des magasins de vente des jeux vidéo dans le onzième arrondissement de Paris, j’avais également discuté avec quelques vendeurs, à la suite de quoi ils me conseillèrent de veiller à ne pas tomber dans les stéréotypes. Je sais que je ne pourrais pas évoquer tous les profils. J’en conclus par cette phrase : « Dis-moi ton jeu et je te dirai qui tu es ! » Ça pourrait être vrai, et si simple. Mais non. Différents jeux. Différents profils. Et différents profils dans un même jeu… mais pas toujours…
Le gérant d’un magasin m’a gentiment proposé de lui laisser des flyers, mais je n’en avais plus. Je ne les ai pas renouvelés, car j’ai décidé de faire jouer le bouche-à-oreille.
Le lendemain, au petit matin, je me rends comme d’habitude à la brasserie de mon quartier. Au comptoir, j’y lis mes mails. J’en profite pour demander à JC et à William, les deux serveurs, s’ils connaissent des gamers avec une gaming room. William en connaît un. JC me raconte que le serveur de la pizzeria du coin, laquelle appartient au même propriétaire, a découvert au printemps, lors d’un séjour dans le Lot, un cybercafé. Parfait !
Je n’ai donc plus qu’à attendre qu’ils me donnent les coordonnées des personnes dont ils m’ont parlées.
Deux jours plus tard, j’ai les contacts du cybercafé.
J’envoie d’abord un mail au gérant du cybercafé. Je contacterai par la suite le deuxième gamer. J’attends seulement un jour pour téléphoner au gérant, Sylvain.
Jour J : je tente… Il est disponible pour écouter mon projet. L’échange est instructif. J’apprends qu’il travaille avec sa compagne, Céline. C’est elle qui gère le cybercafé, et lui, le magasin de dépannage informatique qui occupe les mêmes locaux, à Salviac. Il m’explique que le cybercafé apporte de la convivialité et de la distraction à ceux et celles qui veulent se retrouver autour d’un verre ou d’une assiette de tapas, ou jouer aux jeux vidéo, adultes et adolescents confondus. Il est cependant devenu un endroit indispensable pour les personnes situées à quelques kilomètres de Salviac en zone blanche, celles-ci ayant besoin de se connecter dans le cadre de leur travail ou pour envoyer des mails (une zone blanche est un territoire non couvert par un réseau mobile et qui nécessite une parabole pour bénéficier d’une connexion par satellite).
« Ce n’est pas un mythe de ne pas avoir de réseau, encore en France ! », dixit Sylvain.
La conversation prend fin. Ils sont d’accord pour participer au reportage !
Nous fixons un rendez-vous pour la séance photo… Le 17 juin !
Mardi 28 juin
William, le serveur du café près de chez moi me donne le mail du gamer qui aurait une gaming room chez lui. Il serait un passionné de jeu vidéo et y jouerait même au travail, pendant les heures creuses. Il est gérant d’une concession Suzuki. Il habite en région parisienne. À quels jeux joue-il ? Surprise. Son profil m’intéresse, car mon reportage évoque également les genres. On parle beaucoup de profils masculins mais la dernière étude du SELL/Médiamétrie atteste que les femmes jouent de plus en plus : 53% versus 47%. Je regrette cependant qu’en procédant à des études de genres on n’inclut pas les transgenres. Le troisième genre appartient pourtant à la génération du XXIe siècle. C’est pourquoi j’envisage de photographier les trois genres. Encore une fois, je devrai être vigilante à ne pas rentrer dans les stéréotypes… Pas si facile, car nous sommes souvent rattrapés par notre conditionnement social. Le fait même d’identifier trois genres me plonge dans l’abîme des schémas préconçus… c’est donc la façon dont je les intègrerai dans mon reportage qui sera déterminante.
Juillet 2022
Vendredi 1er juillet
Comme d’habitude, je me rends tôt à la brasserie près de chez moi. J’avais envoyé un mail au gamer recommandé par William, le serveur, pour lui expliquer mon projet, mais pas de réponse. William me dit que son ami l’a contacté la veille pour lui dire que je pouvais venir à son travail à n’importe quel moment.
L’après-midi, je vais donc directement à la concession Suzuki. Première rencontre.
Entre deux clients, je lui expose mon reportage. Entre deux clients, Henri me parle de sa passion des jeux vidéo.
Il a une licence de psychologie, adore autant Doom que The legend of Zelda. Il est très agacé par les raccourcis que l’on retrouve parfois sur les conséquences de la violence des jeux vidéo. Doom, interdit au moins de 18 ans, ne fait pas de lui une personne violente, m’explique-t-il, « C’est plus un défouloir qu’autre chose ».
Rendez-vous pour le shooting le 14 juillet !
2- SUR LA ROUTE
De juillet à novembre 2022
Mes recherches ont commencé à payer. Plusieurs shooting sont programmés dans divers endroits : Auvergne-Rhône-Alpes, Occitanie, Bretagne et Île-de-France.
Je me déplace en voiture. Pour préparer mon voyage, je consulte toujours Mappy itinéraire pour connaître la distance que je vais parcourir et le coût. Souvent la plateforme me propose deux itinéraires ; l’un plus court par l’autoroute, et l’autre plus long par les départementales. Je n’ai pas conçu ce reportage comme un road trip. Je pourrais prendre les départementales et sillonner, à mon rythme, les routes de France avant de retrouver les gameurs ou gameuses. Non. Je prends ma voiture et je trace, poussée par l’envie de les rencontrer. Mon reportage est bâti sur une dizaine de portraits. La route me conduit d’un point A à un point B. Il s’agit avant tout d’une aventure humaine.
En route !
3- CARNET DE BORD
Avant que mon carnet soit barbouillé ou orné de notes selon mon humeur, il y a eu la première page blanche. Puis les premiers écrits : un agenda des événements autour du gaming et quelques adresses des magasins de jeux vidéo. Rien d’impliquant. Une façon de me jeter à l’eau avec une bouée. Et pour ne pas me noyer dans cet univers vidéoludique inépuisable, je me rattachais à mon plan de départ. Celui que j’avais proposé dans mon dossier de candidature, et qui fixait la cohérence de mon sujet. Bien que je l’aie déjà dactylographié, je devais le réécrire, à la main cette fois-ci. L’imposer dans mon carnet. Il serait le garde-fou de mes pensées pour ne pas me perdre dans mes recherches. Il y a tellement de façons d’aborder les jeux vidéo… Sur la page de mon carnet, divisé en trois parties, le plan était « propre ». Mais pas pour longtemps. Je commençais à le décortiquer, à le raturer jusqu’à ce qu’il prenne la forme d’un schéma. Du « propre » je passais au « encore plus clair ». Les territoires, les profils et l’impact psychologique remplissaient des bulles proprement placées sur la page. Chaque « bulles » intégraient d’autres petites bulles. Avec ces petites bulles commençait à se dessiner le squelette de mon reportage, essentiellement fondé sur les gameurs et les gameuses. Au fil du temps, les profils évoluaient et je construisais ce reportage comme un puzzle. Une information apportée par une personne ajoutait une information supplémentaire sur l’ensemble des catégories de gameurs et de gameuses participant au reportage. Aucun profil devait se ressembler et chacun devait avoir sa fonction.
Ainsi, au fur et à mesure que les jours s’écoulaient, je ressentais une épée Damoclès au-dessus de la tête. Je devais trouver un panel de profils quelque part en France, en un temps imparti. Alors, lorsque j’étais sur une piste et qu’ensuite j’obtenais l’aval du gamer ou de la gameuse, je ne pouvais m’empêcher de griffonner mon carnet d’un personnage exprimant ma joie !
4- MES RECHERCHES
Partant du principe qu’une photo est une reproduction d’un réel - c’est-à-dire une description d’un sujet photographié à un moment donné et dans un cadre donné-, j’espérais aller au-delà du cadre pour susciter des questionnements sur ce qui apparaissait sur la photo. Les portraits des gamers et des gameuses me semblent explicites. On comprend leur point commun : le jeu vidéo. On comprend que leur pratique peut être différente : en solo, en famille ou entre amis.es. On comprend également qu’elle peut être exercée dans différents lieux. En cela mes portraits sont descriptifs. Mais ils portent aussi le questionnement sur l’intérêt commun de ces différents profils. Je répondrais le lien social, la construction d’une identité pour certains.es et un entraînement cognitif pour les plus âgés.es. Mais la totalité des photos du reportage donne déjà cette réponse (enfin je pense… À ce jour, j’ai tellement pas de recul sur mon travail que ça me paraît une évidence, mais peut-être pas pour les autres !). En revanche, le reportage n’apporte pas de réponses sur les pratiques, car ce n’était pas l’objectif. Il faudrait un autre reportage avec une approche différente. Mes recherches m’ont permis de distinguer les différents enjeux : d’abord la lecture d’un ouvrage qui parle « des modes d’habiter les pratiques des jeux vidéo » (Ouvrage collectif, 2021, La fin du game ? Les jeux vidéo au quotidien, Tours, Presses universitaires François-Rabelais), et surtout les dernières études (notamment celle du SELL/Médiamétrie) qui confirment l’impact positif du jeu vidéo sur les joueurs et les joueuses.
Pourtant, en 2018, la dépendance aux jeux vidéo était reconnue par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) qui l’inscrivait dans la classification des maladies. Puis, en mars 2020 pendant le confinement, l’OMS recommandait officiellement de « Jouez ensemble mais à distance » dans le programme Play Appart Together… Beaucoup de contradictions, et beaucoup de préjugés de la part des personnes qui ne connaissent pas cet univers. Mais je voulais justement m’instruire, car j’étais également novice. Et les résultats de mes recherches confirmaient que le jeu vidéo, utilisé avec l’encadrement nécessaire, offrait d’innombrables avantages sociaux et culturels. Mon reportage a donc été construit dès le départ sous l’angle des bienfaits de cette industrie vidéoludique. Bien sûr, c’est une industrie, il peut aussi y avoir des dérapages et des manipulations, ou encore des dérives sexistes et homophobes dans les pratiques.
Mais les mentalités commencent à changer et les pratiques évoluent, car de nombreuses plateformes se créent selon le type de communautés pour jouer sans discrimination. Des associations se forment pour accompagner également les femmes dans le monde professionnel du gaming. Grâce à internet, et avec beaucoup de patience, j’ai découvert un écosystème étonnant. J’ai ainsi pu ouvrir des portes – mais pas toutes, d’autres sont restées fermées-, et les festivals m’ont donné davantage à voir et à comprendre.