Territoire : Hauts-de-France

 

Résident des Hauts-de-France depuis 2013, Jean-Michel André s’intéresse à la patrimonialisation et à la transition environnementale menées dans le Bassin minier, notamment grâce aux actions des associations et collectivités et, plus récemment, à un grand plan national pour le renouveau du territoire. Les paysages qu’il photographie sont parfois lunaires, voire mystérieux, peuplés de chevalements, de terrils de schiste noir mais aussi d’une faune et d’une flore qui reprennent leurs droits. Ils sont complétés par les portraits des enfants et petits-enfants de mineurs, habitants des cités minières, exilés aux vingt-neuf nationalités arrivés par vagues successives pour travailler à la mine, dans cette région qui est également une terre d’accueil.

Portrait_JM-ANDRE
Jean-Michel André

Né en France en 1976. Vit à Lille. Diplômé de l’École des Gobelins, Jean-Michel André poursuit un travail reposant sur une vision politique et poétique du territoire, dont il interroge les limites, la mémoire et les évolutions. Il explore aussi la notion de circulation, celle des flux économiques, financiers et migratoires. Son projet « Borders » est publié par Actes Sud et exposé aux Rencontres d'Arles en 2021. Lauréat de la bourse du Talent en 2017, du Cnap en 2022 et du Prix Maison Blanche en 2023, son travail est publié et exposé.

 

 


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Journal de bord

LE 7 JANVIER 2022

Depuis la découverte du charbon en 1720, jusqu’à l’ère nouvelle initiée par l’inscription au patrimoine mondial de l’Unesco en 2012, le Bassin minier du Nord et du Pas-de-Calais a nourri de multiples récits historiques, politiques, littéraires, journalistiques et aussi sportifs ! C’est un territoire que je connais bien. Je l’arpente depuis mon arrivée dans les Hauts-de-France en 2013. J’ai photographié ses terrils pour la DREAL. J’ai contribué à la publication d’un livre (L’Archipel d’un monde nouveau). J’y mène un travail au long cours avec les habitants de la commune de Méricourt (Ici et maintenant). Une des photographies de ma dernière série (Borders) y a été réalisée.

Toutes ces rencontres m’ont donné envie de porter un regard personnel sur ce territoire et d’aller « au coeur du pays noir ». Là, où plusieurs générations ont perdu le souffle ; là, où leurs descendants peinent à le retrouver.

Grâce au soutien de la grande commande photographique « Radioscopie de la France : regards sur un pays traversé par la crise sanitaire », je souhaite interroger la mémoire du Bassin minier et mener un travail documentaire sur les évolutions de ce territoire durement éprouvé par les crises et leurs dérives.

Les deux images que je partage sont des cartes réalisées par la Mission Bassin Minier. La première donne la mesure de l’empreinte des compagnies minières et des houillères sur ce vaste territoire qui s’étend sur 120 km et 250 communes où vivent 1,2 million d’habitants, marqués par un taux de chômage de près de 20 %. La seconde carte est pour l’instant vierge. J’y inscrirai au fur et à mesure de mes recherches les lieux des prises de vue réalisées. Bientôt en mouvement !

carte_Bien_Inscrit.jpg© Mission Bassin minier
© Mission Bassin minier

 

carte bassin minier © Mission Bassin minier
© Mission Bassin minier
 
 

LE 7 FÉVRIER 2022

Chevalement Ledoux, Condé-sur-l’Escaut, Hauts-de-France,

Au même titre que les terrils et les cités minières, les chevalements sont l’un des symboles majeurs de l’industrie minière. Ils marquent le paysage du Bassin minier du Nord-Pas de Calais.

Je partage ici quelques éléments de repérage (carte, capture d’écran, éditing) ainsi qu’une photographie réalisée le 20 janvier 2022 à Condé-sur-l’Escaut sur le site de l’ancienne Fosse Ledoux, située tout à l’Est du Bassin minier, à la limite de la frontière belge.

Le chevalement est le seul vestige de la Fosse Ledoux, qui avait été mise en service en 1905 par la Compagnie d’Anzin, puis modernisée par le Groupe de Valenciennes à partir de 1950, et finalement arrêtée en 1988. Ce chevalement est une composante du bien Bassin minier Nord-Pas de Calais inscrit sur la Liste du patrimoine mondial de l’Unesco depuis 2012, il a été conservé en témoignage de l’ancien complexe minier démantelé. Datant de 1951, le chevalement Ledoux est représentatif de l’époque de la nationalisation des compagnies minières. Il est de type pyramidal asymétrique, en poutrelles à âme pleine et il est doté de deux molettes superposées reposant chacune sur un palier avec garde-corps métallique (source : Bassin minier).

Du haut de ses presque 60 mètres, le chevalement domine le site et les étangs de Chabaud-Latour. En effet, dès la fin de l’extraction dans les années 1990, le Bassin minier a fait l’objet d’importantes opérations de requalification paysagère amorçant le «passage de l’archipel noir à l’Archipel vert » pour reprendre les mots du paysagiste Michel Desvigne. Les anciennes voies – ferrées et fluviales – dédiées au transport du charbon, se sont progressivement transformées en corridors écologiques ou en cheminements doux pour cyclistes et promeneurs. Les anciennes friches accueillent aujourd’hui des espaces riches en biodiversité, grâce à la création de parcs, de plantations, et au retour d’une végétation buissonnante et arborescente ainsi que d’une faune riche et diversifiée (source : Euralens).

Dans cette photographie, le chevalement est central, mais j’accorde également une place importante à la végétation qui est au premier plan, ainsi qu’au choix de la lumière qui s’estompe, comme pour témoigner, si ce n’est d’un paradoxe, en tout cas d’une tension à l’oeuvre. Entre patrimonialisation et évolution, quels chemins les habitants du Bassin minier doivent-ils emprunter pour tout à la fois se réapproprier un passé, réinvestir un territoire et se projeter dans l’avenir ?

Localisation du Chevalement Ledoux, via Google Map
Localisation du Chevalement Ledoux, via Google Map

 

Chevalement Ledoux © Jean-Michel André
Chevalement Ledoux © Jean-Michel André

 

V2 de la carte du Bassin minier © Jean-Michel André
V2 de la carte du Bassin minier © Jean-Michel André

 

LE 11 MARS 2022

J’ai rencontré Laureen en 2015, dans le cadre d’une résidence-mission portée par la Mission Bassin minier et soutenue par la DRAC des Hauts-de-France. Pendant six mois, je suis intervenu dans trois communes du Bassin minier (Grenay, Mazingarbe et Bully-les-Mines) auprès d’associations, de centres sociaux, d’écoles, de médiathèques et bibliothèques, afin de réaliser avec les habitants un travail de sensibilisation autour de la valeur universelle et exceptionnelle du Bassin minier patrimoine mondial de l’Unesco.

En 2015, Laureen était dans la classe de 4ème2 du collège Langevin Wallon de Grenay : ensemble, nous avons construit le projet intitulé Lévitation.

Sept années se sont écoulées depuis, mais je suis resté en contact avec Laureen grâce aux réseaux sociaux. Quand je lui ai proposé de participer au projet photographique que je mène, elle a tout de suite accepté : nous nous sommes revus à Grenay avec deux de ses amies, près du terril 58a et de la cité n°5.

Laureen poursuit maintenant des études de danse à Lille. Elle n’habite plus Grenay mais y revient régulièrement. Pour cela, Laureen doit prendre le métro jusqu’à la gare Lille Flandres, puis le train vers Lens où elle attend un bus qui la conduit à Grenay. Elle finit son trajet à pied. Au total, cela représente près de trois heures de trajet pour un déplacement de 35 km.

L’accès à la mobilité des habitants du Bassin minier est un enjeu complexe, aggravé par la crise sanitaire et économique, sur lequel élus, techniciens, chercheurs, associations et entreprises tentent d’apporter des réponses depuis plusieurs dizaines d’années, en dressant des diagnostics, en identifiant les leviers à même de lever les freins, en promouvant des initiatives remarquables à étendre.

Modestement, mon regard sur cet enjeu se situe du côté des habitants et se porte sur la ténacité et le ressort dont ils font preuve, en particulier les plus jeunes, pour surmonter au quotidien la « galère ». L’un des questionnements que je souhaite soulever est celui des circulations possibles sur ce territoire où l’on se déplace peu.

Capture d’écran ©Google 2022, données cartographique
Capture d’écran ©Google 2022, données cartographique

 

©Jean-Michel André avec le soutien de la BnF et du Ministère de la Culture
©Jean-Michel André avec le soutien de la BnF et du Ministère de la Culture

 

V3 de la carte du Bassin minier © Jean-Michel André
V3 de la carte du Bassin minier © Jean-Michel André

 

LE 1er AVRIL 2022

Terril 074 de Loos-en-Gohelle

Le terril 74 situé à Loos-en-Gohelle, est l’un des trois terrils de la fosse 11-19 des mines de Lens. Il s’agit d’un terril conique. C’est avec le 74A le plus haut d’Europe. Ces deux terrils jumeaux culminent à 186 mètres.

Ces « collines » composées principalement de schistes sont aujourd’hui les seules traces visibles et palpables de la matière qui a été arrachée en sous-sol jusqu’à la fin des années 80. Elles marquent le paysage du Bassin minier Nord Pas-de-Calais façonné par l’homme pendant trois siècles d’exploitation minière.

« Au pays des terrils, les paysages ne sont pas faits de granit rose, de mers turquoise ou encore de sommets immaculés. En ces lieux jugés aujourd’hui inhospitaliers, les hommes ont entrepris de creuser le sol, pour en extraire le charbon et ériger des montagnes. Et cette idée, soudain, que l’histoire des mineurs du Nord Pas-de-Calais puisse valoir autant que celle des grands pharaons ou celle des anciens bâtisseurs de cathédrales change tout. C’est reconnaître enfin le courage, l’entêtement à la tâche, la solidarité et la dignité de plusieurs générations de travailleurs. » (Discours de remerciement de Jean-François Caron, maire de Loos-en-Gohelle, suite à l’inscription du Bassin minier Nord Pas-de-Calais sur la Liste du patrimoine mondial de l’Unesco, juin 2012).

Les habitants du Bassin minier ont toujours su s’adapter, dans le souci de faire face aux aléas qui menacent. C’est un territoire qui a connu les révolutions industrielles successives, les luttes ouvrières, la puissance économique, les guerres, les destructions, mais aussi les mutations et l’espoir d’une renaissance. Je le photographie avec respect et émotion, en hommage à celles et ceux qui ont su déplacer des montagnes.

La base 11/19 de Loos-en-Gohelle a été transformée avec succès en pôle de développement durable. Au pied des terrils jumeaux, les deux anciens puits de mines exploités autrefois ont été fermés en 1986 par les Houillères. Le site héberge aujourd’hui de nombreuses activités de recherche et d’innovation en lien avec l’environnement, ainsi qu’une scène nationale ouverte aux nouvelles pratiques théâtrales.

Mon projet photographique questionne l’évolution du Bassin minier dans sa transition écologique, sanitaire et sociale, en dévoilant les empreintes d’un passé révolu tout en interrogeant ses évolutions.

Capture d’écran ©Google 2022, données cartographiques
Capture d’écran ©Google 2022, données cartographiques

 

©Jean-Michel André avec le soutien de la BnF et du Ministère de la Culture
©Jean-Michel André avec le soutien de la BnF et du Ministère de la Culture

JUILLET 2022

18 Juillet 2022

Le 9-9bis, site historique de la mémoire minière.

Le 9-9bis fait partie des cinq grands sites de la mémoire minière du Nord-Pas-de-Calais avec le 11/19 à Loos-en-Gohelle, la fosse Delloye à Lewarde, la fosse Wallers à Arenberg et la Cité des Électriciens à Bruay-la-Buissière. Il représente un ensemble minier complet avec la fosse, le terril 110 et la cité-jardin De Clercq. Depuis le 30 juin 2012, il est – avec 352 autres éléments – inscrit sur la Liste du patrimoine mondial de l’UNESCO au titre de “paysage culturel évolutif“.
 
En 1842, le charbon est découvert, pour la première fois, à Oignies dans le Pas-de-Calais. Cette découverte est réalisée par l’ingénieur Louis-Georges Mulot dans le parc du château de Madame Henriette De Clercq, actuel Bois des Hautois. En 1852, Madame De Clercq et Monsieur Mulot créent la Société des Mines de Dourges et exploitent le charbon dans les communes environnantes.

Le 9-9bis est construit par Dellile et Foby, respectivement architecte et ingénieur en chef de la Compagnie des Mines de Dourges, dans le style architectural néo-régionaliste, typique d’après-guerre. Il ouvre en 1933 ; durant sa période d’activité, 8 millions de tonnes de charbon sont remontées des puits. A son apogée, dans les années 50, on pouvait y croiser 2 500 employés dont 2 200 mineurs.
 
Le  21 décembre 1990, la dernière berline de charbon est symboliquement remontée au puits 9, clôturant ainsi 270 ans d’exploitation minière dans la région Nord-Pas-de-Calais. Alors que sa destruction est envisagée, le 9-9bis est sauvé par l’action de l’association ACCCUSTO SECI, composée d’anciens mineurs et de passionnés, qui amène à classer les bâtiments au titre des Monuments Historiques en 1994.

En 2003, la Communauté d’Agglomération de Hénin-Carvin fait l’acquisition du site auprès des Charbonnages de France et décide d’un projet de reconversion basé sur le développement culturel et économique (source : 9-9 bis).

J’ai eu le plaisir de rencontrer les anciens mineurs et passionnés de l’association ACCCUSTO SECI avec qui j’ai pu visiter la salle des machines du 9-9 bis. Je partage une courte vidéo pour ne pas tout dévoiler en invitant les plus curieux à se rendre sur ce site chargé d’histoires. J’ai beaucoup échangé avec Raphaël, ancien ingénieur et passionné par le monde de la mine. Raphaël a fait une soixantaine de descentes au fond de la mine au début des années 1970. Il a même écrit un livre "Puits 9" dans lequel il explique le fonctionnement de cette mine en 1973, avec un chapitre sur les conditions de travail et aussi quelques anecdotes qu’il a vécu. J’ai réalisé une série de portraits de Raphaël et des vues du site que je partage également avec cet article. 

Je ne sais pas encore si je retiendrai une photographie de ce site industriel, mais une chose est sûre, cette visite et les témoignages recueillis viennent nourrir mon projet !

andré
©Jean-Michel André. 
andré
©Jean-Michel André. 

 

AOUT 2022

25 août 2022. 


Quelques chiffres.

 
Je partage une sélection de quelques chiffres témoignant du travail réalisé pour mener à bien ce projet. Je joins également à cet article une carte réalisée par la Mission Bassin Minier sur laquelle j’ai inscrit au fur et à mesure de mes recherches les lieux et les dates des prises de vue réalisées. 

4014 km parcourus

36 jours de prises de vue

47 jours de post-production et de préparation (sélections, indexation, légendes, mails, appels téléphoniques, lectures).

5534 photographies réalisées

38 photographies retenues

34 personnes rencontrées ou contactées

31 mails envoyés

27 documents (articles, livres) lus

6 articles produits pour mon journal de bord 

1 texte présentant mon projet

andré
Carte bassin minier, périmètre d'étude. 

 

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