Territoire : Auvergne-Rhône-Alpes


La crise sanitaire a reposé de manière cruciale les questions d’autonomie alimentaire, de production, de consommation, de lien social. Ce projet rend visibles les initiatives positives et solidaires entreprises par et pour les citoyens comme des réponses concrètes à ces enjeux sociaux et environnementaux. Îlots de production vivrière, espaces d’échange de savoirs et de pratiques, de convivialité, lieux de résilience aussi, de transition, d’innovation sociale et de démocratie contributive, ces jardins préfigurent un « monde d’après » déjà là, désirable et porteur d’espoir. De tradition ouvrière, la région de Roanne, qui a su conserver une culture ouvrière et solidaire importante, compte soixante-dix jardins partagés.

V popinet
©Leticia Delboy

Née en France en 1974. Vit à Cordelle. Après une formation en sciences politiques et en sociologie à Lyon, Véronique Popinet étudie le photojournalisme à l’université de Cardiff avec le photographe Daniel Meadows. Tout en travaillant pour la presse, les collectivités et l’animation pédagogique, elle mène des projets transdisciplinaires et de développement territorial avec des auteurs, artistes, chercheurs, associations et collectivités. Elle est membre de Hans Lucas.

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Carnet de bord n°1

L’origine du projet, Jardins collectifs, espaces de résilience et de construction démocratique
Je m’intéresse aux jardins et à ce qu’il s’y passe depuis longtemps. Il y a quelques années, j’ai animé des ateliers photo aux jardins de Cocagne de Roanne avec des lycéens. Le réseau Cocagne, ce sont des jardins bio solidaires pour l’insertion des personnes en difficulté par le maraîchage. L’ambiance à la pause café était chaleureuse malgré la fraîcheur du matin. Une autre fois, j’ai accompagné des enfants autistes d’un IME du quartier pour un autre atelier photo aux jardins ouvriers du halage en bord de Loire. J’ai aimé leur émerveillement pour ces choses simples qui titillent les sens : humer le parfum des fleurs, se coucher dans l’herbe, effleurer du bout des doigts les fanes de carottes… Et pour mon livre sur les riverains du fleuve, je suis retournée aux jardins du halage pour faire des portraits de jardiniers. A chaque fois, j’ai aimé ces parcours de vie chahutés, la convivialité et la créativité des lieux et des gens.

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Alexandre M. et M. D. V., Jardins ouvriers du Halage à Roanne (42) ©Véronique Popinet
Alexandre M. et M. D. V., Jardins ouvriers du Halage à Roanne (42) ©Véronique Popinet

* Portraits extraits de l’ouvrage Portraits de Loire, récits d’un bords de fleuve, p. 119-120, Éditions Libel, Lyon, septembre 2019

Jardins ouvriers de Varennes, Roanne (42) ©Véronique Popinet
Jardins ouvriers de Varennes, Roanne (42) ©Véronique Popinet

* Image extraite de l’ouvrage Portraits de Loire, récits d’un bords de fleuve, p. 66-67, Éditions Libel, Lyon, septembre 2019

Et puis plus récemment, au début de la crise sanitaire, j’ai participé à la réalisation d’un livre collectif sur la qualité alimentaire comme bien commun dans le Pays Roannais avec une association locale et une équipe de chercheurs en sciences humaines et sociales. Ce projet de recherche s’intéressait plus généralement à la notion d’intelligence collective : comment les gens expérimentent, inventent et mettent en œuvre des solutions innovantes ensemble. Ce projet m’a permis de rencontrer plein d’acteurs locaux : des restaurateurs, des associations, des maraîchers, des jardiniers…

Récolte des choux chez Mickaël Rollet, maraîcher bio à Saint-Germain-Lespinasse ©Véronique Popinet
Récolte des choux chez Mickaël Rollet, maraîcher bio à Saint-Germain-Lespinasse ©Véronique Popinet
Récolte des choux chez Mickaël Rollet, maraîcher bio à Saint-Germain-Lespinasse ©Véronique Popinet
Récolte des choux chez Mickaël Rollet, maraîcher bio à Saint-Germain-Lespinasse ©Véronique Popinet

* Images extraites de l’ouvrage Le changement par le menu. Comment faire de la qualité alimentaire un bien commun en Roannais?, ouvrage collectif Association Vivre Bio en Roannais, 160 p., février 2021

Carnet de bord n°2

Comprendre et explorer le sujet en amont

Pendant le confinement, au-delà de l’obligation et de la tentation du repli, j’ai été frappée par l’élan solidaire près de chez moi, par la capacité spontanée de mobilisation, de mise en réseau, d’agilité et de « système D » des citoyens pour apporter des solutions aux problèmes urgents que nous rencontrions en ce début de pandémie, dans une période d’incertitude, d’inquiétude et de flottement des réponses étatiques.

Des systèmes de distribution entre producteurs et consommateurs locaux se sont spontanément organisés, des jardins collectifs se sont créés ou renforcés ici et là, en ville mais aussi à la campagne. La crise sanitaire a reposé de manière cruciale les questions d’autonomie alimentaire, de façon de produire, de consommer, d’habiter et également du lien social. Elle a révélé la vulnérabilité de nos sociétés dans un système mondialisé. Dans ce contexte morose, j’ai eu envie de rendre visibles ces initiatives positives et solidaires par et pour les citoyens, comme des réponses très concrètes à ces enjeux.

En amont des prises de vue, je me documente pour chaque projet : d’abord par des ouvrages de sciences humaines et sociales, mais aussi par de la littérature, des essais, des articles de presse, des émissions ou des reportages. Cette recherche me permet de trouver une problématique et donc un angle pour traiter le sujet :

Mario Del Curto, Humanité Végétale, Actes Sud, 2018 / Amandine Geers, Jardins solidaires. Cultiver le vivre-ensemble, Éditions Terre Vivante, 2019
Mario Del Curto, Humanité Végétale, Actes Sud, 2018 / Amandine Geers, Jardins solidaires. Cultiver le vivre-ensemble, Éditions Terre Vivante, 2019

Les jardins collectifs constituent des îlots préservés, des lieux de production vivrière, des espaces ouverts, d’échanges de savoirs et de pratiques, de partage et de convivialité. Ce sont des lieux de résilience, de transition, d’innovation sociale et de démocratie contributive qui préfigurent «un monde d’après» déjà, plus désirable et porteur d’espoir.

Et puis, je recherche aussi les représentations visuelles attachées à ce sujet : s’il a déjà été traité, en image fixe ou animée, de quelle manière ? Existe-t-il des clichés attachés à ce sujet qui risquent d’influencer mes prises de vue ? Je tente de prendre conscience de ces représentations types afin d’éviter de les reproduire inconsciemment et aussi d’affiner mon angle. Pour les jardins collectifs en France, je me rends compte que la plupart des images qui y sont associées montrent des jardins urbains dans des quartiers gentrifiés des grandes métropoles, avec une population plutôt « bobo ». Or, dans le Roannais, les jardins collectifs sont surtout gérés par des gens issus de milieux populaires, non seulement en ville mais aussi dans des petits villages, en zone très rurale : ce sont ces jardins-là que je veux montrer.

Ces représentations m’apportent aussi des inspirations pour le traitement visuel comme ici avec Martin Parr  :

martin parr

Références bibliographiques et visuelles non exhaustives :

  • Gilles Clément, Michael Lonsdale, Edgar Morin, Jean-Marie Pelt, Des jardins et des hommes, Bayard, 2016
  • Mario Del Curto, Humanité Végétale, Actes Sud, 2018
  • Pierre Donadieu, André Fleury, « Les jardiniers restaurent le monde », dans Les Carnets du paysage n° 9-10, 2003, p. 148-169.
  • Manon Gallien, Marjolaine Boitard, Claire Delfosse, « Renouveau des jardins potagesr entre milieux urbain et rural ? », dans POUR, la revue du Groupe Ruralités Éducation et Politiques, 2012/3-4 n° 215-216, p. 321-332
  • Amandine Geers, Jardins solidaires. Cultiver le vivre-ensemble, Éditions Terre Vivante, 2019
  • Vincent Larbey, Jardins et jardiniers : les pieds dans la terre, la tête dans les nuages. Une anthropologie du potager, Université Montpellier III, 2013
  • Éric Lenoir, Petit traité du jardin punk, Éditions Terre Vivante, 2018
  • Flaminia Paddeu, Sous les pavés, la terre. Agricultures urbaines et résistances dans les métropoles, Seuil, Essai / Anthropocène, 2021 / https://www.franceinter.fr/emissions/la-terre-au-carre/la-terre-au-carre-du-mardi-08-fevrier-2022
  • Martin Parr, Kleingärtner (Allotment Gardeners), Verlag, 2019.
  • Agnès Varda, Les glaneurs et la glaneuse, documentaire, 1h22, 2000
  • Florence Weber, L’honneur des jardiniers, Les potagers de la France du XXe siècle, Éditions Belin, Paris, 1998.
  • Florence Weber, Manuel Pluvinage, « Les jardins populaires : pratiques culturales, usages de l’espace, enjeux culturels », Rapport de recherche pour la Mission du Patrimoine Ethnologique du Ministère de la Culture, 1992
  • Joëlle Zask, La démocratie aux champs. Du jardin d’Éden aux jardins partagés, comment l’agriculture cultive les valeurs démocratiques, Les empêcheurs de penser en rond/La Découverte, 2016).

Carnet de bord n°3

La prise de contacts et les repérages

C'est le moment d'activer mes réseaux ! Avec Isabelle, co-présidente de l'association Vivre Bio en Roannais, on avait déjà identifié une vingtaine de jardins collectifs dans le secteur, avec l'intention de faire peut-être un deuxième livre sur ce sujet. L'association participe au développement de certains d'entre eux. Le Plan Alimentaire Territorial du Roannais a aussi mis en ligne un document partagé qui recense ces jardins, plus de 70  dans tout le bassin de vie ! Je ne vais pas pouvoir tous les photographier. Il va falloir faire des choix drastiques, ça va être difficile. Le travail du photographe est une longue suite de choix et de renoncements...!

Wiki du PAT du Roannais qui recense les jardins partagés du territoire

Je fais une visio avec Perrine et Claire, chercheuses en sciences sociales, qui travaillent à Lyon au sein du Laboratoire d'Etudes Rurales, et Patrick de Cap Rural, un centre de ressources sur les pratiques du développement local. Claire a déjà travaillé sur les potagers dans le Roannais.  Le projet de recherche Jardin'R porte sur le rôle des jardins ruraux en réponse aux enjeux alimentaires, sociaux, fonciers, urbanistiques, patrimoniaux et d'adaptation au changement climatique. Cap Rural travaille aussi sur les jardins ruraux et les enjeux de développement local en Auvergne-Rhône-Alpes. Nous ne savons pas encore comment nous allons pouvoir collaborer mais nous décidons déjà de mettre nos ressources en commun. Les chercheuses sont intéressées par les photographies comme outil de valorisation et aussi de réflexivité. Pour moi, leurs travaux viennent enrichir mon enquête en m'apportant de nouveaux éclairages.