Territoire : Bourgogne-Franche-Comté


Ce projet, qui s’appuie sur l’histoire des habitants de Tonnerre, dans l’Yonne, une petite ville désindustrialisée fortement affectée par les effets de la crise sanitaire, vise à décrire la vie quotidienne de personnes précarisées qui ont réussi à développer des stratégies pour tenir.

© Printille Davigo
© Printille Davigo

Jean-Robert Dantou (p. 210) Né en France en 1980. Vit à Paris. Formé à l’École nationale supérieure Louis-Lumière et à l’EHESS, Jean-Robert Dantou explore les liens entre photographie et sciences sociales à travers des projets documentaires réalisés sur le continent américain, en Asie et en France. Il s’intéresse à la santé mentale, aux migrations, aux territoires périphériques. Doctorant SACRe, il partage son travail entre commandes institutionnelles, résidences et ateliers, et expose et publie régulièrement ses travaux. Lauréat de « La France vue d’ici » en 2014, il est membre de l’agence Vu’.

 

 

 

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Journal de bord 

 

Dimanche 6 février 2022. Retourner sur le terrain

Cela fait quatre ans maintenant que je travaille dans la ville de Tonnerre. J’y mène une recherche à la fois théorique et pratique sur l’alliance entre photographie documentaire et sciences sociales. Cette recherche s’inscrit dans le cadre d’un doctorat en Recherche Création, dans le dispositif Sciences Arts Création Recherche de l’ENS-PSL. Je travaille sur deux questions en même temps. Une question d’ordre sociologique : Qu’est-ce qui fait que des personnes en situation de fragilité sont amenées à être déplacées dans des villes dont elles ignoraient même l’existence ? Une question d’ordre épistémologique : Comment stabiliser le sens des photographies documentaires ? Comment les transformer en matériaux stables au service d’entreprises de connaissances ? 
J’avais mis fin à mon travail de terrain en juillet 2021, après la production de près de dix mille photographies et une centaine d’entretiens enregistrés, pour commencer le travail de rédaction de ma thèse. La Grande Commande Photojournalisme m’offre l’opportunité de repartir sur le terrain pour poser une question que je n’avais pas eu le temps de traiter en profondeur dans le cadre de mon doctorat : dans un contexte d’effondrement économique, social et moral, qu’est-ce qui fait que certaines personnes arrivent à « tenir », et d’autres pas ?
C’est là-dessus que je vais travailler au cours des prochains mois. Je remets mon travail de rédaction de thèse à plus tard.

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© Jean-Robert Dantou / Grande commande photojournalisme 

Nuit du dimanche au lundi. Trajet de la Creuse vers l’Yonne

Tonnerre est située dans le nord du département de l’Yonne, à environ six heures en voiture de la commune dans laquelle je vis, dans le sud de la Creuse. Pour y aller, je prends soit la voiture, soit le train. Cette fois-ci, c’est le train : hier soir, trajet en voiture d’environ une heure et quart depuis chez moi jusqu’à la gare de La Souterraine, trois heures de train jusqu’à Paris, et ce matin le train pour Tonnerre à 7h30 de Bercy. Les gares défilent : Villeneuve-Saint-George, Combs-la-Ville, Melun, Montereau, Laroche-Migennes, Saint-Flo. J’arrive à Tonnerre à 9h30. 

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© Jean-Robert Dantou / Grande commande photojouranlisme 

Lundi 7 février 2022. Retour à Tonnerre

Depuis les trois périodes de confinement de mars 2020 à mai 2021, Tonnerre a connu une dynamique liée à l’arrivée de personnes aux ressources multiples – économiques, sociales et culturelles : artistes, architectes, avocats, galeristes, artisans commerçants, porteurs de projets. L’activité associative, culturelle et commerciale s’en trouve renforcée, et l’activité immobilière s’est envolée : une grande partie du bâti ancien de centre-bourg, qui peinait depuis des décennies à trouver preneur, a été vendu sur une très courte période.
 

Tonnerre est un ancien bourg rural qui est entré dans la modernité́ industrielle dans la seconde moitié́ du vingtième siècle. Le choix de cette ville pour mon enquête découle d’une enquête collective, « Territoires et mobilités », qui vise à analyser l’accroissement des inégalités entre les territoires. La ville a été choisie pour sa situation géographique : à deux heures de Paris, à l’écart du réseau TGV et du réseau autoroutier mais connectée au réseau TER, la ville est à la fois suffisamment proche de l’agglomération parisienne pour être sous son influence et trop éloignée en temps de transport pour bénéficier de son bassin d’emploi.
 

La ville a été touchée par une première vague de désindustrialisation dans les années 1980, par une seconde dans les années 2000, dont les effets ont été redoublés par le retrait des services publics depuis la fin des années 2000. Comme dans de très nombreuses petites villes, notamment les sous-préfectures, Tonnerre a assisté impuissante à la fermeture de sa maternité et des services de chirurgie de l’hôpital à partir de 1995, à des fermetures d’écoles, et à la disparition de son tribunal d’instance (la loi Dati de 2007 a eu pour conséquence la fermeture progressive et la mise en vente de deux-cent-cinquante tribunaux d’instance, de grande instance et de commerce en France).
 

Depuis une vingtaine d’années, la ville connaît des mouvements de population importants liés à l’existence d’une offre de logements sociaux vacants et de logements anciens dégradés : le repeuplement récent du quartier HLM d’une part, du centre-ville ancien d’autre part permet d’étudier les trajectoires de personnes déplacées en dehors de la métropole parisienne. Cette ville, pour moi, est un nœud pour analyser la relégation de certaines populations, mais aussi un laboratoire pour aborder la question du soin apporté aux personnes fragiles.

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© Jean-Robert Dantou / Grande commande photojournalisme 

Lundi 7 février 2022. RDV à la Résidence Accueil

J'ai rendez-vous à 13h30 à la Résidence Accueil de Tonnerre, une institution gérée par l’association Espérance Yonne [devenue UGECAM depuis], spécialisée dans l’accompagnement des personnes décrites comme souffrant de troubles psychiques. 
 

La Résidence est installée dans une tour d’habitat social du quartier des Prés-Hauts, au nord du centre historique de Tonnerre. La structure est organisée autour d’un appartement collectif composé d’un grand salon, d’une cuisine, d’une buanderie pour que les résidents puissent venir laver leur linge, d’un bureau pour les deux travailleuses sociales qui accompagnent les résidents, et d’une salle de réunion. Personne ne dort sur place. Les résidents vivent essentiellement par deux, en colocation, dans treize appartements distribués autour de deux cages d’escaliers. 
La rencontre d’aujourd’hui a lieu dans le logement collectif, six personnes sont présentes autour de la table : Maxence, Bouchra, Chantal, Olivia, Jean-Pierre et Éric. Je leur explique le principe de la Grande Commande, j’explique que je vais revenir pendant plusieurs mois pour travailler sur une nouvelle question, à savoir les stratégies individuelles ou collectives mises en place pour « tenir ». 
 

La parole circule, chacun parle des ressources qu’il mobilise : l’écriture, la pêche, la marche, les jeux vidéo, les soins, le café, la cigarette. Je prends des rendez-vous avec ceux qui le souhaitent pour les prochains jours. 
 

Jean-Pierre me propose que l’on aille faire quelques photographies cet après-midi. Il me dit qu’il marche tous les matins, tôt, à travers la ville. Je lui propose une marche photographique. Il m’emmène aux jardins familiaux de Tonnerre, mis à disposition de la Résidence Accueil par la commune. Les jardins se situent au bout de la rue des Guinandes, sur les bords de l'Armançon, à environ un kilomètre du centre historique, à proximité de la station d’épuration. Une quinzaine de parcelles sont en friche, en attendant le printemps. Certaines n'ont pas trouvé preneur et sont à l'abandon. Nous y rencontrons Jean-Louis, un habitant de la ville qui cultive sa parcelle depuis une vingtaine d’années. Il nous raconte que dans les années 1990, les ouvriers d’origine marocaine de la fromagerie Paul Renard, située à une douzaine de kilomètres de Tonnerre (à Flogny-la-Chapelle), étaient nombreux à venir ici le midi pour entretenir leurs potagers. La fromagerie a été fermée en 2010, licenciant près de quatre-vingt salariés. Depuis, une partie des jardins est à l’abandon : sur treize parcelles, quatre n’ont pas trouvé preneur. 

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© Jean-Robert Dantou / Grande commande photojournalisme
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© Jean-Robert Dantou / Grande commande photojournalisme
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Mardi 8 février. « Je » narcissique, « je » réflexif

Depuis plusieurs jours, je réfléchis à la manière d’écrire les textes qui vont accompagner les photographies. J’ai l’habitude, dans mes recherches, d’anonymiser les personnes et les lieux, et la levée de l’anonymat pour la Grande Commande m’oblige à un nouveau pacte narratif. Je me demande notamment si je dois parler des personnes uniquement à la troisième personne, ou si je dois m’inclure dans le récit.
 

J’ai écrit un premier texte uniquement à la troisième personne pour parler de ma rencontre d’aujourd’hui avec Philippe, et mon texte me paraît faire violence. Je me mets à la place de Philippe, peut-être qu’il n’aimerait pas cette mise à distance. J’ai l’impression que le fait de m’inclure dans le récit adoucit. Je préfère dire « Je suis aux côtés de Philippe aujourd’hui, il roule des clopes toute la journée », plutôt que « Philippe roule des clopes toute la journée ».
 

Depuis l’invention de la photographie, les photographes produisent des théories sur les effets que produisent leurs images sur le monde : une photographie peut infléchir le cours d’une guerre, marquer un tournant dans un mouvement social, déclencher des découvertes scientifiques. Bien peu de travaux se penchent sur les effets que produisent les photographies sur les personnes et sur les territoires photographiés. C’est de cela dont il est question ici : que va produire pour Philippe le récit qui accompagne les photographies que nous avons faites ensemble aujourd’hui ?  
 

Si l’emploi du « je » répond à des préoccupations déontologiques concernant la personne photographiée, il a également une vocation réflexive : il vise à rappeler que tout savoir est situé. Si je veux dire des choses du monde que j'observe, je dois aussi parler des yeux avec lesquels je l'observe, dire depuis quelle position singulière je parle.   
 

Avec le risque permanent de glisser du « je » réflexif au « je » narcissique. Le « je » narcissique est un « je » qui rapporte toujours le monde observé à l’intériorité du photographe, à ses états d’âme, ses angoisses, son corps. Lorsqu’un photographe reconnaît dans le fleuve qui coule au fond d’une vallée des formes qui ne le ramènent plus qu’aux veines de son avant-bras, c’est qu’il a glissé dans le « je » narcissique. Il ne s’intéresse plus tant aux propriétés de ce fleuve, aux êtres vivants qui l’habitent, aux tensions politiques qui président à son exploitation, mais plutôt à ce que ce fleuve dit de lui, de son intériorité, l’auteur singulier, le photographe. La photographie documentaire aurait tout à gagner à prendre à revers le tournant narcissique qui la touche depuis les années 1980, notamment à travers la figure de l’auteur et de son intériorité, pour se recentrer sur la compréhension de ce qui est photographié.  

Mardi 8 février 2022. « Je suis tout seul dans mon monde »

Je passe deux heures avec Maxence ce matin. Nous avons convenu hier que je viendrais après le passage de l'infirmière, aux environs de neuf heures. Nous nous installons dans sa chambre, autour du bureau. Il allume World of Warcraft sur son PC portable et commence une partie tout en m'expliquant comment fonctionne le jeu. Normalement, il joue plutôt l'après-midi : "Le matin, il y a plein de choses à faire, s'occuper de l'appartement, passer un coup de ménage, prendre les médicaments".

Maxence vit à Tonnerre depuis huit mois. Ses journées commencent tous les matins de la semaine par le passage de l'infirmière, qui vient lui déposer des médicaments « entre 8h50 et 9h30... Après la prise, je me sens fatigué pendant environ deux heures, après ça passe. » Il a commencé à jouer à World of Warcraft en 2004, il y a près de vingt ans. C'est un jeu vidéo qui n'a pas de fin : « Wow ne se finira jamais, ils inventent toujours des nouvelles choses, les parties sont infinies ». L'abonnement coûte 13 euros par mois, les parties permettent ensuite de capitaliser différentes monnaies, avec lesquelles Maxence achète des armures, des armes, des montures, des personnages. 
 

Le jeu peut également rapporter de l'argent : « Tu peux faire de la compétition, mais moi ça m'intéresse pas ». Il joue environ six heures par jour, et toujours au même jeu : « Je joue une heure ou deux, après je suis fatigué, je dors, puis je reprends... un vrai zombie... comme Batman... Dès que je vois flou, je m'arrête. » 
 

Les volets de l'appartement sont toujours fermés, sauf parfois en été, pour regarder le vol des hirondelles : « Il fait beau, je me pose sur le balcon, je regarde les oiseaux pendant une heure ou deux... ils volent tous côte à côte, sans se rentrer dedans. » Quand Maxence a du pain sec, il en offre aux pigeons qui viennent sur le balcon. 
 

Maxence loue son appartement à la Résidence Accueil, c’est un appartement pour deux personnes mais son colocataire est parti il y a quelques mois, il habite donc seul. Je lui demande s'il aimerait retrouver un colocataire, il me répond que non : « De toutes façons, je suis tout seul dans mon monde. »
 

[Les extraits d’entretiens correspondent à des notes manuscrites prises pendant l’interaction photographique. Texte validé avec Maxence le 11 février 2022]

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© Jean-Robert Dantou / Grande commande photojournalisme 
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© Jean-Robert Dantou / Grande commande photojournalisme 
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© Jean-Robert Dantou / Grande commande photojournalisme

Mardi 8 février 2022. « Je veux qu’on me laisse tranquille »

Nous avons prévu de nous retrouver avec Bouchra cet après-midi. Hier, pendant la réunion à la Résidence, Bouchra m’a parlé du temps sacré du lever du soleil, de méditation, d'écriture, et des étourneaux dans le ciel. Il y a près d'un an, nous avions aussi parlé d'une colline qu'elle voit depuis la fenêtre de sa chambre, décrite alors comme un horizon à dépasser. Mais les mots vont trop vite aujourd'hui, les émotions sont difficiles à contenir, et Bouchra se dit que nous ferons peut-être plutôt des photos un autre jour. Trop de colère, de papiers en désordre, de choses à mettre au propre, de mots à coucher sur le papier. Je repars donc marcher seul.
Je fais la connaissance, dans le quartier de la Coopérative Céréalière du Tonnerrois (C.C.T.) aujourd’hui abandonnée, sur les bords du canal de Bourgogne, de Stéphane et de sa chienne. Il vient de la banlieue parisienne, il s’est installé à Tonnerre il y a quelques temps, il m’invite à boire une bière au Pavillon Bleu. 

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© Jean-Robert Dantou / Grande commande photojournalisme 
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© Jean-Robert Dantou / Grande commande photojournalisme 

Mercredi 9 février 2022. Marcher

Je rejoins Jean-Pierre tôt ce matin sur les hauteurs de Tonnerre. Je suis un peu retard, je m'excuse. Jean-Pierre m'attend derrière la vitre du hall d'immeuble. Il a gelé cette nuit, les pare-brise des voitures sont givrés. Nous croisons un cycliste qui part travailler, un cache-cou remonté jusqu'au nez, un bonnet noir, les yeux seuls livrés nus à la nuit qui se retire. Jean-Pierre se lève tous les matins aux environs de six heures, routine héritée de vingt années à travailler pour les cantines scolaires : lever à 4 heures, départ du car à 5h, début du travail à 6 heures, retour par le car de 20 heures. C'était à Viry Châtillon, dans l'Essonne, dans les années 1980. Il lui arrivait de s'endormir sur le trajet du retour, c'était le chauffeur qui le réveillait. 
 

Jean-Pierre marche tous les matins depuis des années : « Je marche par tous les temps. Avec un bon manteau et de bonnes chaussures, la pluie ça me fait rien. » ll part de chez lui toujours à la même heure, aux environs de sept heures. Les trajets varient selon les jours. Alors que la lumière est encore très basse, Jean-Pierre est attentif à tout un tas de détails du vivant qui pour la plupart m'échappent : le chant d'un pinson, les ondulations tracées au loin par un canard sur l'eau calme du canal de Bourgogne, dont Jean-Pierre se rend finalement compte, par la trajectoire accidentée, qu'il s'agit en fait d'un ragondin, qui nous tient compagnie sur une centaine de mètres puis s'en va. Je le suis dans cette marche matinale, à l'écoute de ses observations, de ses sens aiguisés : le passage d'un héron au-dessus d'un groupe de cygnes encore endormis, le cancan des canards sur un bras de l'Armançon, des fleurs séchées de viorne qui se répandent dans le vent, la fumée dégagée par une cascade, la hauteur de la rivière et la mémoire des crues passées. Jean-Pierre me parle aussi des arbres, des saules et des noyers, du gui qui les ronge et qui parfois les tue. 
 

Jean-Pierre habite à Tonnerre depuis plus de dix ans, il connaît les noms des rues et des ruelles, la grande Histoire des monuments anciens et les petites histoires des terrains à vendre, des vaches qui paissaient encore au bord du canal lorsqu'il est arrivé, de l'ancienne ferme aujourd'hui reprise par un vigneron, des jeunes qui se baignent au lieu-dit « La cascade » pendant l'été. Lui ne se baigne plus, même s'il sait nager.  
 

Il touche régulièrement les pierres du sol, me fait remarquer qu'elles brillent d'une certaine manière lorsqu'elles sont gelées. Il a travaillé il y a une vingtaine d'années dans les carrières de pierre de Ravières, à une trentaine de kilomètres de Tonnerre. Le travail était dur, il commençait à quatre heures, finissait à midi, en intérim. Il était bien payé. 
 

Jean-Pierre tient à me montrer trois fresques réalisées il y a une dizaine d'années avec des jeunes de la ville. La première se trouve dans la ruelle de la gare, rebaptisée « La ruelle aux vaches ». Les deux autres ont été réalisées autour de la gare. On y retrouve les emblèmes de la ville : la Fosse Dionne, le train, le patrimoine architectural ancien, les ponts, la rivière. 
 

Nous terminons notre promenade au lever du jour. Jean-Pierre me fait remarquer le bruit lointain du TGV, que je perçois à peine. Le train rapide qui relie Paris à Marseille passe à quelques kilomètres de là, mais il ne s'arrête pas. Après deux heures de prises de vue, j'ai les mains gelées, Jean-Pierre s'en amuse, je lui dis qu'il est plus résistant au froid que moi, il me répond que deux années à la rue changent le rapport au froid. Il me parle aussi de son premier métier, après ses années d'apprentissage en horticulture, passées à l'extérieur, par des hivers autrement plus froids qu'aujourd'hui. 
[Texte validé avec Jean-Pierre le 11 février 2022]

 

© Jean-Robert Dantou / Grande commande photojournalisme 
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Hypothèses de recherche

Alors que d’autres meurent ou disparaissent, certaines personnes « tiennent » par leur robustesse physique, leur résistance au froid et un entraînement quotidien. Certaines autres « tiennent » par la curiosité et un aiguisement des sens qui leur permet d’être attentives au monde qui les entoure. Certaines autres encore « tiennent » en entretenant des discours discriminatoires de distinction, pour se démarquer des « cas soc’ » et des « assistés ». 

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© Jean-Robert Dantou / Grande commande photojournalisme
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© Jean-Robert Dantou / Grande commande photojournalisme 

Jeudi 10 février 2022. Éric

Je retrouve Éric chez lui à 11h30 ce matin. Nous avons identifié ensemble deux activités qui structurent sa semaine : aller au café et se faire masser chez le kiné. Il a ses habitudes dans deux cafés, le Retro et le Bar des Sports. Nous commençons par le second. Éric boit trois cafés d'affilée en une petite demi-heure, il achète un paquet de cigarettes XXL à plus de quinze euros, et un briquet avec une photographie de chat. Pendant que je photographie Éric, je fais tomber la boisson que j'ai commandée et je répands du verre partout dans la salle. Éric sort fumer une cigarette pendant que je passe le balai.  
 

Il est arrivé à Tonnerre en 2010 à l'âge de 42 ans, il est l'un des plus anciens habitants de la Résidence Accueil. Il m'explique avoir laissé de côté l'alcool, mais "arrêter l'alcool en même temps que la cigarette, c'est impossible. On peut pas arrêter les deux d'un seul coup". Il a recommencé à fumer dès le premier confinement, au printemps 2020. Il fume un paquet tous les deux ou trois jours. 
 

Après le café nous allons patienter dans la gare en attendant le rendez-vous de kinésithérapie : "II fait chaud dans la gare, normalement je viens y manger mon sandwich avant le rendez-vous chez le kiné". Il n'y a quasiment plus de place assise dans la gare, tous les bancs sont occupés par des lycéens, qui m'expliquent que c'est le seul endroit où il fait chaud dans lequel ils peuvent rester à la pause de midi.
 

Depuis qu'il est abonné à Canal+, Éric reçoit tous les ans des cadeaux. Il a accumulé quatre parapluies, deux casquettes, un ballon de rugby, trois serviettes de plage et un rubik's cube "collector". Le ballon du rugby n'a jamais été gonflé, les serviettes de plage n'ont jamais servi. Un jour, il est sorti avec l'un de ces parapluies et s'est fait traiter de "pédé" dans le quartier. Depuis, il ne les utilise plus. Le rubik's cube, il s'en sert de temps en temps. 
 

En dehors des matches de foot le soir et les week-ends, des courses chez Aldi le mardi et des reportages à la télé, la semaine d'Éric est rythmée par les soins : "L'infirmière vient tous les soirs vers 18h pour remplir mon pilulier et me mettre des gouttes dans les yeux, je vois le kiné deux fois par semaine, le généraliste une fois par mois, la pédicure tous les deux mois, et la psy tous les trois mois." Éric fréquentait le GEM et le SAVS les premières années, mais il a arrêté d'y aller. Il est aujourd'hui autonome pour retirer de l'argent, faire ses courses, faire seul son ménage et se rendre aux rendez-vous de soin.  
[GEM : Groupe d'Entraide Mutuelle. SAVS = Service d'Accompagnement à la Vie Sociale. Texte validé avec Éric le 11 février 22]

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Jeudi 10 février 2022. Olivia

J'ai rendez-vous avec Olivia à la Résidence accueil, je la retrouve dans la salle commune avec Jean-Pierre, Chantal et Lola. Tout le monde regarde la série télé « Huit, avenue de l'Humanité » en mangeant des crêpes. Je n'ai pas pris le temps de manger ce midi, je rejoins donc l'équipe avec plaisir. Nous avions prévu de partir avec Olivia faire une séance de portraits au Rétro, un café du centre dans lequel elle aime aller boire un chocolat chaud de temps en temps. Nous devions y aller mardi, mais Olivia n'avait plus assez d'argent pour le chocolat. Après un échange rapide, Olivia me dit qu'elle n'a pas l'énergie d'y aller cet après-midi. Un peu plus tard, elle me dira qu'elle avait mis de côté trois euros pour pouvoir acheter deux cafés et m'inviter. Nous avions un peu discuté il y a quelques jours, avec l'idée de documenter ce qui, parmi les difficultés quotidiennes, permet de s'accrocher à la vie. Olivia m'avait parlé d'une formation de secrétaire comptable. Elle a suivi cette année une première formation de deux mois, "formation transverse", au Sémaphore, un bâtiment moderne construit aux abords de la gare et accueillant des associations, une pépinière d'entreprise, le Centre de Développement du Tonnerrois, une médiathèque, un cabinet de kinésithérapie et divers services de soin et d'accompagnement. 
 

L'an dernier, Olivia a travaillé pendant deux mois dans une agence d'intérim pour faire le ménage dans une boucherie, tous les soirs de 18h à 21h. Puis elle s'est occupée pendant quelques mois d'une femme de 81 ans, une heure le matin et une heure le soir. Elle s'occupait des bas de contention, de presser un jus de pamplemousse, de préparer les repas, de faire le ménage, d'ouvrir et de fermer les volets. Mais l'expérience tourne court : « Ce n'était jamais assez bien pour elle, je ne faisais pas assez vite, pas assez bien... À la retraite, on devient exigeant ! ». Olivia avait travaillé pendant dix ans comme ASH fonction aide-soignante dans un EHPAD, avant de « tomber dans le social ».
 

Les expériences de l'an dernier l'ont menée à conclure qu'elle n'était plus faite pour s'occuper des personnes âgées, et elle s'est inscrite à une formation à distance de secrétaire comptable qui doit durer quatre ans, pour un coût de deux milles euros. Nous montons dans son appartement et nous nous installons dans sa chambre, qu'elle ouvre à clé. Olivia s'excuse du désordre. L'ordinateur est posé sur le bureau, à côté d'un carnet et d'un cendrier. Olivia se rend compte que la formation dans laquelle elle s'est engagée est plus compliquée que ce qu'elle pensait. Elle doit étudier deux tomes d'environ sept cent pages chacun sur les logiciels de comptabilité, sans quasiment aucun contact direct avec ses formateurs - elle a, depuis sept mois, parlé une seule fois par téléphone avec une enseignante. Elle tente d'occuper ses journées comme elle peut pour tromper l'ennui, qui reste le qualificatif qu'elle emploie le plus souvent pour désigner son quotidien. Elle veut maintenant habiter seule et « Quitter le social » : « Je voudrais partir, j'ai fait mon temps ici. Ça fait trop longtemps que je suis encadrée. J'ai besoin de liberté. » Elle a, dans cette optique, avec l'aide du SAVS, constitué un dossier pour trouver un logement en dehors de la Résidence Accueil : « J'ai demandé Melun et Nemours, les villes de ma jeunesse, Tonnerre parce que c'est le plus facile, et Bourgoin Jailleux, près de Lyon et de mes parents... mais je pense que c'est à Tonnerre que je trouverai en premier. »   
[Les extraits d’entretiens correspondent à des notes manuscrites prises pendant l’interaction photographique. Une partie de l'entretien est enregistrée. Texte validé avec Olivia le 11 février 2022]. 

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© Jean-Robert Dantou / Grande commande photojournalisme 
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© Jean-Robert Dantou / Grande commande photojournalisme 

Protocole photographique

Depuis plusieurs années, les photographies que je réalise dans le cadre de mon travail de doctorat sont produites de manière lente, à la chambre grand format, en noir et blanc. Il m’arrive de parler de « photographies négociées » : je discute longuement avec la personne enquêtée pour trouver un lieu représentatif de l'un des aspects de sa vie, nous allons sur place, je lui demande de me montrer quelle place elle occupe habituellement, les gestes qu'elle effectue et les objets qu'elle utilise. Nous construisons ensemble une mise en scène qui respecte ces éléments tout en faisant entrer les contraintes de la photographie : l'orientation de la lumière, le déplacement d'un meuble ou d'un objet au premier plan ou à l'arrière-plan, l'emplacement de la personne en fonction du recul dont j'ai besoin pour la prise de vue. Depuis cette semaine, dans le cadre de la Grande Commande, ce protocole connaît un déplacement : j'ai laissé de côté la chambre grand format pour un reflex numérique (un Nikon D850), je continue à photographier principalement en noir et blanc mais je produis également quelques photographies en couleur, et j'instaure plus de fluidité dans les prises de vue : j’utilise moins le trépied, je photographie plus facilement à main levée, je varie les focales (essentiellement un 50mm et un 85 mm), j'accepte de laisser advenir du mouvement dans certaines scènes photographiées. Je demande aux personnes de me parler des choses qu'elles font pendant la semaine, je les accompagne dans leurs routines quotidiennes et j'interviens un peu moins dans les situations que j’observe.

© Jean-Robert Dantou / Grande commande photojournalisme 

Vendredi 11 février 2022. Lever l’anonymat

Je reviens sur les questions d’anonymat. Cela fait plusieurs années que je travaille à Tonnerre en anonymisant la ville. Anonymiser, cela permet généralement de protéger des personnes, mais aussi un territoire. Les villes se livrent entre elles des guerres de communication pour donner d’elles-mêmes l’image la plus positive possible afin d’attirer les classes moyennes et supérieures, et le fait de travailler sur des sujets difficiles – des publics fragiles, des mécanismes de relégation – peut représenter un problème pour les territoires concernés, qui ont peur de la stigmatisation. 
 

Plusieurs fois, j’ai par exemple rencontré à Tonnerre des personnes qui avaient des biens immobiliers à vendre dans la ville, et je sais que la diffusion de mon travail photographique, s’il renforce une image négative de la ville, peut avoir des conséquences directes sur la vente de leurs biens. 
 

Je suis aujourd’hui moins inquiet pour la ville, qui continue évidemment d’affronter d’importantes difficultés, mais qui bénéficie aussi de dynamiques nouvelles. C’est la raison pour laquelle j’ai décidé, dans le cadre de la Grande Commande, de lever l’anonymat sur Tonnerre. Notamment parce qu’il me semble que ce qui est décrit ici n’est que le reflet de mécanismes qui touchent de la même manière de très nombreuses petites villes françaises. 

Vendredi 11 février 2022. Travailler

Je rejoins Ludovic à l'Hôpital ce matin. Nous nous connaissons depuis quelques années, et nous sommes croisés hier à la Résidence Accueil. Il m'a donné le numéro de son responsable à l'ESAT pour obtenir l'autorisation de le photographier, et nous avons convenu de nous retrouver aujourd'hui sur son lieu de travail pour que je l'accompagne pendant quelques heures. J'arrive à neuf heures, il me demande d'attendre un peu avant de commencer les photos. Il a une « réunion au sommet » avec son chef d'équipe. C'est la réunion du vendredi, celle où se prépare le programme pour la semaine suivante. Dans l'équipe, il y a six jardiniers, deux viennent de l'ESAT et quatre sont employés directement par l'hôpital. Ludovic a « un p'tit chef et un grand chef. » Il m'explique que jusque-là, l'ambiance est plutôt bonne : « L'équipe elle est bien, j'ai rien à dire, les chefs ils sont là pour m'épauler. Et ce qui est bien, c'est que quand il pleut, on bosse pas dehors. On donne des coups de main aux plombiers, aux peintres, aux employés de l'hôpital qui travaillent à l'intérieur. » 
 

Ludovic commence tôt le matin : "Lever à cinq heures, début du boulot à 6h30, on enlève les poubelles pleines et on en remet des vides. Ça rigole pas, c'est pas un travail de guignol.... » Il a deux activités principales : « Je suis sur deux postes : les poubelles et le jardin. » Dans les différents services de l'hôpital, les poubelles sont vidées quotidiennement dans des bennes placées à l'extérieur du bâtiment. Tous les matins, Ludovic fait le tour de l'hôpital avec son collègue dans une camionnette deux places, ils rassemblent toutes les poubelles dans un local, une entreprise vient les vider, ils les nettoient au Karcher et les replacent vides dans les différents lieux de collecte. Ludovic prend son métier à cœur : « Les poubelles, elles ont intérêt à être propres, c'est moi qui te le dis. C'est un hôpital, ici ! Après, ça retourne dans les services. » Le local de dépôt des poubelles qu'il me montre jouxte les bureaux des infirmières. L'une d'elles vient nous voir pour demander pourquoi nous faisons des photos. Elle est plutôt bienveillante avec Ludovic. Il me raconte que souvent, tôt le matin, il se fait inviter : « Elles viennent me voir, elles me disent "Allez, viens au chaud boire un café. » 
 

Lorsque je retrouve Ludovic, il a fini sa tournée des poubelles. Hier, lorsque je lui ai demandé l'autorisation de venir le prendre en photo, il ne tenait pas particulièrement à ce que je vienne plus tôt : « Tu vas courir derrière le camion, ça va pas être facile. » Je l'accompagne donc ce matin pour la partie « jardin ». Il a pour instruction, pour le reste de la matinée, d'accompagner son chef pour aller s'occuper de l'entretien du parc autour de l'Ehpad. Pendant une heure et demie, il ramasse toutes les petites branches tombées autour des bouleaux et des pins plantés dans le parc, « pour pas abîmer la tondeuse ». Il se ramasse chaque branche à la main et dépose les poignées pleines dans un bac d'environ deux cents litres : « Le bouleau, ça fait du boulot tout l'hiver. » Pendant ce temps, son chef d'équipe s'occupe de la taille des haies. Vers onze heures, le bac est rempli de branches, Ludovic les transporte sur la brouette pour aller les déverser dans un container de déchets verts situé à environ cinq cents mètres.
 

Avant de « tomber malade » et de trouver une place à la Résidence Accueil de Tonnerre, Ludovic travaillait comme plombier chauffagiste : « Ça faisait dix ans que j'avais pas bossé. Le travail dans la nature, je préfère. Un jour tu ramasses les feuilles, un autre jour c'est les branches, un autre jour la taille des haies. C'est toujours différent. Le pire, c'est les feuilles. Tous les jours, pendant trois mois, tu ramasses des feuilles, du matin au soir". Après dix années compliquées, pendant lesquelles il est sorti des circuits économiques classiques, il a recommencé à travailler à l'ESAT il y a maintenant près de deux ans, juste au moment de notre première rencontre : d'abord dans une blanchisserie, puis un travail dans les vignes, et maintenant l'hôpital. 

Un atelier de théâtre va reprendre prochainement à la Résidence. Je demande à Ludovic s'il va y participer. Je le sens fier de me répondre que ces choses-là ne sont plus pour lui : « Quand t'as passé toute la journée debout à bosser, le seul truc que t'as envie de faire quand tu rentres chez toi, c'est de te poser. Le théâtre, j'ai plus le temps, j'ai plus le temps de faire le guignol, j'ai du boulot, moi... » Il a repris à son compte les discours qui pèsent, dans toutes les bouches, sur les personnes qui se voient, pendant un temps, retirer du système économique classique : « Les gens, c'est des guignols, ils se plaignent mais ils se lèvent à midi. Qu'est-ce tu veux que je fasse, moi, avec des guignols pareils ? »
[Les extraits d’entretiens correspondent à des notes manuscrites prises pendant l’interaction photographique. Entretien non enregistré. ESAT = Établissement et Service d’Aide par le Travail]

 

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© Jean-Robert Dantou / Grande commande photojournalisme 
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© Jean-Robert Dantou / Grande commande photojournalisme 
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© Jean-Robert Dantou / Grande commande photojournalisme
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© Jean-Robert Dantou / Grande commande photojournalisme
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© Jean-Robert Dantou / Grande commande photojournalisme


 

Mardi 8 mars 2022. Attention et trahison.

La photographie documentaire est sans cesse prise entre attention et trahison. Attention parce que la démarche documentaire oblige à s’intéresser de très près à une personne, à une situation, à une institution, pour essayer de comprendre, de décrire, de construire une représentation juste. Cette attention est plus ou moins mise à l’épreuve selon les terrains, et Tonnerre est un terrain difficile. Il m’arrive de passer de longs moments avec des personnes qui parlent sans discontinuer, de manière saccadée et désordonnée, passant du récit d'un événement à un autre en suivant des logiques qui m’échappent, et qui se mettent parfois à crier lorsqu’elles sont débordées par la colère. Dans ces cas, il faut faire preuve de patience, écouter, accueillir la douleur de vivre, renoncer souvent aux projets que l’on s’était fixés pour la journée, faire avec l’inattendu. 
 

En parallèle, j’ai souvent peur de trahir les personnes photographiées. Ce risque de trahison est principalement lié à la circulation des œuvres, à leur mise en relation et aux textes qui accompagnent les photographies. Lors de chaque rencontre, j'enregistre chaque détail de l’interaction photographique dans ma tête, et je retranscris le soir, parfois pendant plusieurs heures, pour mettre en lien les événements de la journée à des questions plus générales. C’est cet exercice de mise à distance, d’analyse et de mise en relation de matériaux éloignés les uns des autres qui peut présenter un risque de trahison de la relation nouée avec la personne. C’est au moment où une situation singulière me sert à expliquer des faits sociaux complexes que la personne concernée peut se sentir trahie. C’est le photographe documentaire qui a la maîtrise de l’ensemble, il est le dépositaire des récits et des représentations visuelles, c’est lui qui est responsable de leur agencement et du sens qu’il leur confère. Il occupe, en cela, une position de domination radicale par rapport à la personne photographiée, qui disparaît habituellement des chaînes de décision dès lors que l’interaction photographique prend fin. Cette position de domination du photographe sur la personne photographiée oblige à une grande prudence. L’un des nombreux outils à la disposition du photographe documentaire est de rapporter les matériaux agencés auprès de la personne photographiée, pour vérifier à ses côtés que le choix des images et des textes lui convient.