Territoires : France métropolitaine

 

Le 4 mars 2022, Emmanuel Macron choisissait stratégiquement la presse quotidienne régionale pour adresser sa « Lettre aux Français » officialisant sa seconde candidature à l’élection présidentielle. Les excellentes audiences de la presse quotidienne d’actualité révèlent aussi une mutation importante du secteur. Les abonnements numériques s’envolent, alors que les ventes des éditions papier poursuivent leur chute vertigineuse. Si la crise de la presse a connu plusieurs paliers, notamment en 2007 avec l’arrivée de l’iPhone qui a structurellement modifié notre rapport au numérique, le Covid a accéléré cette mutation : pénurie de papier, explosion de son prix liée à une hausse inédite du coût de l’énergie, confinements à répétition et faillite du distributeur Presstalis en 2020. Ce reportage met en lumière les étapes de la vie de quelques titres de presse, de leur conception à leur distribution, et questionne notre rapport au papier dans un monde de plus en plus numérique.

 

Marie Magnin

Née en France en 1976. Vit à Pantin. Après une formation en droit et en journalisme, Marie Magnin travaille pendant dix ans comme journaliste reporter d’images puis cheffe monteuse pour la télévision avant de devenir photojournaliste pour la presse. Ses projets questionnent la vulnérabilité, l’isolement, la rudesse de la société : communauté LGBTQI+ en Tunisie, service des urgences à Mayotte, exilés entre Paris et Roubaix, solitude des seniors (« Chez Totors »). Elle est membre de Hans Lucas.

 

 

 

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Journal de bord 

Tout démarre sur le web. Des recherches, puis des coups de fil. Le rythme de la préparation. Premier appel passé le 31 mai 2022. Première image réalisée une vingtaine de jours plus tard, à Paris. 
 

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Carte de Paris. 

21 juin 2022

L’été pointe son nez, je me rends à un rendez-vous chez France Messagerie pour envisager les possibilités de reportage au cœur de la distribution des titres de presse. Le siège est à deux pas de la BnF. En passant devant à vélo, je fais une photo, pour le clin d’œil. Je suis loin d’imaginer que mon sujet m’amènera quelques mois plus tard dans les couloirs de l’une de ses tours, pour documenter la délicate conservation des périodiques, face à l’inéluctable érosion du papier. En préparant mon dossier de candidature pour ce projet, j’avais dessiné une trame de travail, elle va évoluer au fil des rencontres et des informations glanées.

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Bibliothèque nationale de France, le 21 juin 2022 et le 24 novembre 2022. © Marie Magnin 

À Paris, je me déplace à vélo, je photographie léger. Dans ma besace, deux appareils photo, un carnet de notes et mon agenda. Mes boitiers sont numériques, équipés de focales fixes, un 35mm et un 50mm. Il s’agit du matériel que j’utilise quotidiennement depuis plusieurs années, adapté à l’écriture du reportage telle que je l’envisage pour documenter ce pan de l’histoire de la presse papier.

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Matériel. © Marie Magnin

4 juillet 2022

Mon premier déplacement est calé de longue date, un rendez-vous le 4 juillet dans la dernière usine à papier journal de France, implantée à Golbey dans les Vosges. Mais c’est sans compter sur le Covid qui m’enferme quelques jours chez moi. C’est raté, il faudra attendre la rentrée, sans fixer de date cette fois-ci. À suivre. 

3 août 2022

Chez France Messagerie, j’ai appris que le plus gros marchand de presse de Paris fermerait bientôt ses portes. Il s’agit d’une librairie située dans le quartier d’affaires de Bercy, dépeuplé avec la crise sanitaire et la généralisation du télétravail qui s’en est suivie. Lorsque je m’y rends, le rideau est déjà définitivement baissé. Ses gérants, les jumeaux Michel et Daniel Kerriou, démontent les étagères méthodiquement. Ils ne m’attendaient pas, mais acceptent immédiatement que j’immortalise les derniers instants de leur commerce, ce chapitre de leur vie qui s’achève dans le bruit de la deviseuse. « Vous voulez boire quelque chose ? Je veux bien un peu d’eau, merci. » Michel ouvre un petit frigo vitrine et me tend une bouteille de Cristalline. « Vous voyez, on gagnait plus d’argent sur la vente d’une bouteille d’eau à 1€ que sur celle du Monde à 3,20€. ». Cette première discussion me plonge dans l’univers complexe des marchands de presse, leurs difficultés, leur amertume et leur découragement. Je suis touchée qu’ils se racontent alors que j’arrive à l’improviste dans un moment délicat. Je suis d’ailleurs souvent surprise lorsqu’à la question : « Est-ce que vous accepteriez que je passe un peu de temps avec vous et que je fasse des photos ? », la réponse est oui, tout simplement oui. 

C’est certainement ce qui fait que j’aime autant mon métier. La rencontre inattendue. La découverte et l’immersion.

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Michel et Daniel Kerriou, dans leur librairie, le 3 août 2022. © Marie Magnin 

 Quelques jours plus tard, je me mets en quête d’un marchand de presse un peu particulier, dont on m’a parlé. Il s’appelle Ali Akbar, il est le dernier vendeur de journaux à la criée de Paris. Ali vend Le Monde dans le quartier de Saint-Germain-des-Prés depuis 51 ans, il est connu comme le loup blanc. Alors j’interroge les commerçants. Au Café de la Mairie, place Saint-Sulpice, les canotiers sont de sortie, il fait très chaud en ce début août. Les gouttelettes se forment sur les verres de bière dans le soleil tombant de l’apéro. Les deux serveurs connaissent Ali. « Monsieur Ali ? Bien sûr, il était là ce matin ! Vous savez s’il va repasser ? Bien sûr, mais on ne sait pas quand. Monsieur Ali, il est libre comme l’air ! » J’écris mon numéro de téléphone sur le carnet du serveur, avec un petit mot à l’attention d’Ali. En attendant, j’enfourche mon vélo et pars à sa recherche. En vain.

Ali m’appelle le soir même. On se donne rendez-vous le lendemain, même endroit. Mais on me l’avait bien dit, il est libre comme l’air Ali. Et pas très ponctuel, je pense même qu’il m’a oubliée. Je comprends très vite pourquoi, ses journées sont rythmées par les clients, les rencontres, il improvise. « Le Monde, Le Monde, qui veut Le Monde ? » Sa voix arrive à mon oreille avant de le voir. Elle est forte, les mots cavalent, son énergie ne fait aucun doute. Le voilà. À peine présentés, nous partons au pas de course. Il est rapide, Ali. Très rapide. Au point que je ne sais plus à quel objectif me vouer. J’ai souvent tendance à faire plusieurs images d’une même situation. Mais là, je multiplie les clichés pour assurer le coup. 

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Ali Akbar, lors de notre seconde rencontre, le 9 septembre 2022. Photo sélectionnée et traitée au centre, entourée des photos faites juste avant et juste après. 

Cette rencontre avec Ali, celle avec les frères Kerriou, j’ai l’impression que des histoires viennent à moi mais pour l’instant, rien encore de ce que j’avais envisagé ne s’est déroulé. 

Je prends la route en direction de la Haute-Savoie, Thonon-les-Bains plus précisément. 

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Carte Chablais. 

Lorsque j’ai proposé ce sujet sur la mutation de la presse papier, j’ai tout de suite eu l’envie de traiter l’impact de la révolution numérique et de la crise sanitaire sur la presse locale. J’ai choisi un hebdomadaire régional, Le Messager. Il s’agit d’un titre que je connais bien puisqu’il se trouve dans la région dans laquelle j’ai grandi et que j’y ai fait un remplacement, lorsque j’étais encore étudiante en journalisme. Il m’intéresse particulièrement car il délivre une info de proximité dans un secteur composé à la fois de zones urbaines et de villages reculés en montagne. Son lectorat est assez large et, pour certains encore, très attaché au papier.

23 août 2022

 J’ai rendez-vous à la rédaction pour organiser ma présence les jours suivants au sein de l’équipe. Celle-ci a déménagé depuis l’époque où j’y ai travaillé. Je découvre un open space, comme il en pousse dans bon nombre d’entreprises. Le lieu est froid et impersonnel, l’équipe, elle, est jeune et accueillante. 

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Rédaction du journal Le Messager, le 23 août 2022. © Marie Magnin

Avant de démarrer ce chapitre de mon reportage, je fais un pas de côté en allant à la rencontre d’un ancien correspondant local, parti récemment. Il s’appelle Didier Dutruel, je le retrouve dans la salle de sport d’une petite commune bordant le lac Léman, à un stage de gymnastique qu’il couvre pour un site associatif. Didier aime profondément ce travail de correspondant. Pour les rencontres surtout, le lien social qu’il permet de tisser. Mais il a fait une croix sur ses collaborations avec la presse locale. Plus assez de reconnaissance pour le travail fourni me dit-il.

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Didier Dutruel à gauche, et Yves Peyrani, à droite, les 16 et 20 août 2022. © Marie Magnin

Du bord du lac, je file en montagne, à la rencontre d’Yves Peyrani. Correspondant local en Vallée Verte, territoire le plus reculé du secteur du Messager, il écrit encore quelques lignes, réduites à peau de chagrin, pour le journal. Mais, c’est fini, l’époque où il descendait physiquement ses articles à la rédaction, où il avait l’impression de faire partie d’une équipe. À 85 ans, il est resté sur le quai lorsque le train de la révolution numérique est passé. Il fait beau ce jour-là. L’air est frais comme souvent en montagne, Yves me fait faire le tour de son potager. On prend le café, il me montre ses archives, soigneusement classées par pochettes plastiques, sort ses appareils photo argentiques. Au côté de son épouse Chantal, il témoigne d’un temps révolu. On se retrouve le lendemain, Chantal me sert l’apéro cette fois-ci, un vin de pêche maison. J’ai l’impression d’être chez mes grands-parents. On parle de la vie. Le reportage permet les jolies rencontres.

1er septembre 2022

Comme celle avec Raymond Thon, quelques jours plus tard. Son petit chalet de montagne pourrait nous propulser hors du temps. Nous sommes début septembre mais les guirlandes de Noël semblent s’être fait leur place durablement dans le séjour. J’ai rencontré Raymond au petit point presse du village, quelques minutes plus tôt. J’ai choisi de le suivre sans connaître son univers car il représente une catégorie de lecteurs du Messager qu’il me semblait important de mettre en lumière : Raymond est un fidèle du journal, ne le lit qu’en version papier, n’a pas internet et n’a pas l’intention de l’avoir.

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Raymond Thon, chez lui, le 1er septembre 2022. © Marie Magnin 

Qu’est-ce qui lie Ali, qui compte maintenant les journaux qu’il vend sur les doigts de la main à Yves, qui a remisé son appareil photo pour s’occuper de son potager, Michel et Daniel qui ferment boutique après une vie de marchands de presse, ou encore Raymond ? A leur contact, à l’écoute de leurs histoires, je touche du doigt ce que peuvent être les conséquences de la mutation d’un secteur.

Ces jours de fin d’été se passent aussi avec les journalistes de la rédaction du Messager. Ils sont presque tous nés après l’apparition d’Internet, et leur vie a toujours été rythmée par le digital. Pour autant, depuis 2019, leur métier est bouleversé par le changement de ligne éditoriale du journal. Web first. Deux mots à la signification limpide : l’édition papier passe après. 

Je suis Lauren Lacrampe et Valentin Danré en reportages, dont la mission est de ramener suffisamment de matière pour écrire un article, l’illustrer avec des photos, réaliser un podcast audio et une vidéo. L’iPhone comme couteau suisse a remplacé le bloc-notes, l’appareil photo et le micro. Polyvalence first.

21 décembre 2022

Je ferai plusieurs passages à la rédaction du Messager. Le dernier en décembre, juste avant Noël. A ce moment-là, il me manque de quoi raconter le fameux « web first ». Le hasard fait bien les choses, Clara Rigoli arrive pour un entretien d’embauche au service web justement. Elle termine tout juste sa formation en journalisme de proximité et souhaite intégrer la rédaction du Messager que ses parents lisent depuis toujours. Après son entretien, je l’accompagne chez elle alors qu’elle attend le verdict. Il ne tarde pas, Clara est embauchée. En compagnie de son père, elle appelle sa mère pour lui annoncer la nouvelle.

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Clara Rigoli, chez ses parents, le 21 décembre 2022. © Marie Magnin

Entre ces deux moments de reportage l’un début septembre, et l’autre en fin d’année, il me reste un énorme pan de mon sujet à traiter. Le temps file à vitesse grand V et j’ai l’impression d’une montagne à gravir en tongs.

Retour à Paris. Au décès de la Reine Élisabeth II, je décide de vivre ce moment historique en compagnie d’Ali Akbar, dans les rues de Saint-Germain-des-Prés. C’est dans ces moments-là que le journal papier conserve sa valeur ajoutée aux yeux des lecteurs qui souhaitent garder une trace matérielle de l’Histoire. Le Monde se vend comme des petits pains, Ali court plus que jamais car il sait que ces ventes sont aussi rares qu’éphémères. C’est une photo de cette journée qui fera finalement l’ouverture de ma série (cf. la photo d’Ali présentée précédemment).

Je poursuis chez Martine Azria, la marchande de presse de la rue de Ménilmontant. Sa boutique est un repère d’habitués. Comme André, 91 ans, qui vient deux fois par jour acheter la presse, en plus de son abonnement au Figaro. Ce rituel le fait marcher et prendre sa dose de bonne humeur. Je prends conscience du rôle social des petits commerces, des rires qui y éclatent, des parts de gâteau qui s’y partagent.

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Carte Est-Ouest. 

21 septembre 2022

Cap sur les Vosges maintenant. Le rendez-vous reporté en début d’été dans la dernière usine à papier journal de France se concrétise enfin. Avant de me rendre à l’usine Norske Skog, je décide d’aller à la source du papier journal. J’ai rendez-vous en forêt de Gérardmer, pour une coupe d’éclaircie. Ces résineux rentrent dans la composition du papier journal fabriqué à une cinquantaine de kilomètres de là. Plus pour longtemps, car l’usine est en passe de ne fabriquer que du papier 100% recyclé.

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Forêt de Gérardmer et usine Norske Skog, le 21 septembre 2022. © Marie Magnin

2 novembre 2022

Que ce soit dans la forêt ou dans l’usine, je suis confrontée à la même difficulté d’être tenue à une distance de sécurité qui m’éloigne cruellement des personnes. J’ai choisi de ne travailler qu’au 35mm et au 50mm, c’est-à-dire des focales standard, proches de ce que l’œil humain perçoit, je n’y déroge pas, et ça se voit. Les éléments prennent le pas sur les hommes. Ça raconte quelque chose. Pour le reportage qui suit, je prends le contrepied. Cap à l’ouest cette fois-ci, à Grand-Couronne, en Seine-Maritime. L’usine ressemble à celle de Golbey, à une différence près : elle a mis la clé sous la porte en 2020. Les trois hommes que je rencontre m’en ouvrent les portes justement. Anciens salariés, Cyril Briffault, Julien Sénécal, et Arnaud Dauxerre ont fait de la survie de leur usine leur combat. Une lutte chevillée au corps. Cette fois-ci, je place l’humain au centre de l’histoire.

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Cyril Briffault, Julien Sénécal et Arnaud Dauxerre, dans l'ancienne papeterie Chapelle Darblay, le 2 novembre 2022. © Marie Magnin 

Des histoires familiales narrées autour d’un burger-frites dans le local syndical, je découvre la puissance de la lutte à travers des décennies de combats sous la bannière de la CGT. Et comme à chaque rencontre en reportage, je déroule un fil qui m’amène où je ne m’attendais pas.

28 novembre 2022

Un numéro de téléphone, griffonné sur mon carnet, une recommandation, et Didier Lourdez, Secrétaire général du Syndicat Général du Livre et de la Communication Ecrite, SGLCE-CGT m’accueille au siège de la maison du livre. Sans appareil photo dans un premier temps. Ce syndicat, historiquement très puissant par sa capacité à bloquer l’ensemble des chaînes de production et de distribution de la presse quotidienne nationale, perd de son influence dans un contexte de baisse des ventes et d’explosion du numérique. Je souhaite photographier une réunion du bureau, ça ne s’est jamais fait. Didier Lourdez va tenter de convaincre ses camarades. « Venez lundi matin, et je vous ferai signe si c’est possible de vous accorder quelques minutes ». Le lundi matin, armée d’un café chaud et d’un croissant, j’attends à la fraîche sur le banc devant le bâtiment. Le signe ne viendra pas. De la réunion, je ne verrai que les lumières en étage… depuis mon banc. Ce reportage va finalement se faire, la réunion suivante, après quelques échanges supplémentaires.

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Réunion du bureau du SGLCE-CGT, dans les locaux, le 28 novembre 2022. © Marie Magnin

De l’origine du papier, je file à l’autre bout de la chaîne, celle de la production de l’information. Outre Le Messager, je cible d’autres rédactions, sur des critères précis. Je choisis un quotidien national, à savoir Le Monde, car il est le plus lu en France, et son développement digital a été fulgurant. Je pousse aussi la porte d’un mensuel spécialisé, Epsiloon, d’un mook, Zadig et d’un journal 100% digital, Mediapart

L’immersion dans ces rédactions est aussi intéressante que casse-tête. Intéressante car elle me propulse dans des univers de travail et ambiances très différents, casse-tête car à chaque fois, je suis face à cette même difficulté : photographier, dans une dynamique de reportage, des bureaux, des ordinateurs, des réunions, et trouver un nouveau souffle à chaque fois. Ces reportages se font relativement sur le tard, alors que la production de mon sujet est déjà bien avancée.

Entre deux rédactions, je suis les phases d’impression et de distribution de la presse. Je désire le faire d’une traite, tel le parcours d’un titre dont la naissance s’imprime sur la rotative le soir, chez Riccobono, pour être ensuite transféré, empaqueté, chargé au centre de tri de France Messagerie dans la nuit, et enfin livré au petit matin dans les kiosques parisiens.

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Parcours des journaux, de l'impression au point de vente. 

9 novembre 2022

Sur chaque poste, entre deux gestes répétés métronomiquement par les ouvriers, je réalise des portraits furtifs. Lors de chaque reportage durant ce projet, j’essaie, quand cela est possible, de faire le portrait des personnes que je rencontre. Mais au final, je ne vais en retenir aucun, question d’équilibre et de cohérence sur l’ensemble de la série.
 

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Ouvriers sur les chaines de production chez Riccobono et de distribution chez France Messagerie, dans la nuit du 9 au 10 novembre 2022. © Marie Magnin

Si je rembobine le fil de ce projet, « Presse-papier » m’a occupée environ une quarantaine de journées - pleines ou partielles - à la pêche aux infos et aux rendez-vous, une quarantaine de journées aussi en reportage, dans quatre régions.

Puis est venu le temps de l’editing, c’est-à-dire le choix de ce que l’on conserve pour raconter l’histoire. Partir de l’ensemble des images réalisées, garder celles qui servent la narration, éliminer les autres, renoncer. Je dégrossis le travail d’abord sur l’ordinateur, puis grâce à des tirages de lecture pour affiner ma sélection. Cette phase est aussi exaltante qu’interminable. Exaltante car l’histoire prend forme lors de l’editing. Interminable, car mille possibilités s’offrent alors et après des heures et des heures à brasser les images, je ne sais plus vraiment. Vient alors le regard précieux des proches, amis, du métier ou pas, un grand merci à eux, ils se reconnaîtront s’ils lisent ces quelques lignes.

Au final, j’ai choisi de conserver 103 images pour raconter cette mutation de la presse papier. J’aurais aimé symboliquement en garder 100 toutes piles, mais la narration s’est faite ainsi.

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Petits tirages de lecture ayant servis à l'éditing. © Marie Magnin

Dernière étape, avant la réalisation des tirages, celle du rendu esthétique de l’image, du choix de son traitement. Et là encore, je ne compte pas les heures passées à essayer, bidouiller les couleurs, les contrastes, jouer à l’apprenti sorcière pour faire naître une identité.

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Différents essais de traitement, non retenus. 

Ce projet m’a accompagnée de nombreux mois. J’aurais pu tirer le fil de cette mutation de la presse papier encore longtemps, il aurait pu m’emmener dans bien des directions. La deadline du 15 janvier 2023 a posé une limite au projet. Trait définitif tiré sous le sujet ou simple parenthèse, il est pour l’instant temps de le laisser poser. À suivre.