Territoire : France métropolitaine


Dans le contexte actuel de défiance à l’égard des élites, le maire demeure la figure politique la plus populaire en France. Ces élus de proximité se font pourtant l’écho d’un malaise grandissant dans l’exercice de leur fonction. À travers une série de reportages dans dix territoires fragilisés, ce projet interroge cette figure traditionnelle de la démocratie locale et l’évolution de son empreinte comme représentant de l’autorité publique et vecteur de cohésion sociale.

Cyril Abad
Frédéric Migeon

Né en France en 1970. Vit à Paris. Après une carrière de reporter, rédacteur en chef, chef d’édition, Frédéric Migeon décide de se consacrer à la photographie en 2018. Il se forme à l’Émi-CFD, guidé par Julien Daniel et Guillaume Herbaut. Depuis 2020, il développe des sujets sur la construction de notre identité dans un monde globalisé. Ses images racontent la passion de Valentin et de sa bande pour le carnaval de Dunkerque, la vie d’une centaine de réfugiés africains dans un hangar d’Aubervilliers, les blessures de la société libanaise. Il est membre de Hans Lucas.

 

 

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Journal de bord 

L’une de mes premières réflexions collatérales, lorsque je me suis plongé dans ce projet : nos bien chers maires ne s’apparenteraient-ils pas, dans notre imaginaire, à nos pères et à nos mères (attention à ne pas s’y perdre) ? Comme eux, ils incarnent une autorité de proximité reconnue par la société et consacrée par la loi, vers laquelle tout un chacun est censé pouvoir se tourner. Ils et elles – les maires, donc – sont là, à portée de main, déambulant dans les allées du marché le samedi matin, échangeant quelques mots avec les anciens lors de la fête du village ou rentrant le soir chez eux, dans la maison qui fait l’angle cinquante mètres après l’agence du Crédit agricole – non, pas celle avec les briquettes rouges, l’autre, juste à côté. Les maires ne font pas partie de ces élus que l’on aperçoit seulement sur LCP le mercredi après-midi, ils ne déclarent pas la guerre au Covid à 20 heures pétantes dans une orchestration télévisuelle au cordeau, et ne se déplacent pas escortés de convois blindés. Pour de vrai, on peut leur témoigner notre soutien d’une tape sur l’épaule, leur soumettre plus ou moins au débotté nos déboires administratifs, on peut les interpeller au bar-tabac du coin, voire leur exprimer notre défiance sur le perron de l’Hôtel de Ville – car non, celui-là n’est pas du tout l’élu de mon cœur. Bref, pour revenir à mon rapprochement de départ, nous comptons sur notre maire pour qu’il facilite et améliore notre quotidien, ici et maintenant. Évidemment, le calque est loin d’être parfait. À la différence de nos parents, on a la possibilité de choisir son maire – on est nombreux sur le coup, donc il y a quand même des déçus. De même, on n’attend pas de son maire qu’il nous raconte une histoire à l’heure du coucher, et on ne sollicite pas ses parents pour démêler un imbroglio cadastral ou pour obtenir un dos d’âne parce que l’algorithme de Waze trouve marrant de faire passer tous les véhicules du département devant notre portail. Et, puis, après tout, nous ne sommes pas des enfants. Le parallèle m’interpelle néanmoins, je le garde dans un recoin de ma tête. La psychanalyse, elle, attendra.

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Travaux devant la mairie de Luzy (Nièvre), octobre 2022. © Frédéric Migeon

Mes interrogations initiales sont les suivantes : dans le monde globalisé et pas franchement rassurant qui se dessine sous nos yeux, nos élus de proximité – et, avec eux, notre démocratie locale – ont-ils encore les moyens de peser sur notre destin ? Ont-ils la capacité de maintenir en vie les territoires les plus fragiles, ces villages situés sur la diagonale du vide ou sur n’importe quel autre axe de relégation, ces bourgs dits d’équilibre où le désert – médical, économique… – avance, ces préfectures et sous-préfectures vidées de leurs commerces, ces banlieues de grandes métropoles qui cumulent les handicaps ? Et, question sous-jacente, que reste-t-il de l’aura traditionnelle des maires ? Quelques livres plus loin, je me dis que mes premières conclusions pourraient être consignées dans un rapport d’autopsie. Depuis une quinzaine d’années, les sources d’inquiétude se multiplient : la fracture territoriale en France ne cesse de se creuser, les dotations de l’État baissent, la montée en puissance des intercommunalités crée des tensions en rebattant les cartes des compétences, les maires isolés disent leur désarroi face à la technicisation de leur fonction et à l’inflation des normes, et un nombre croissant d’entre eux témoignent d’intimidations, violences et parfois menaces de mort dont ils sont la cible de la part d’administrés. Plus récemment, l’épreuve du Covid et la flambée des prix de l’énergie ont encore un peu plus mis sous pression les communes. Sentiment d’abandon, de dépossession, d’impuissance. Bien sûr, tout n’est pas aussi sombre. Certaines lectures remontent un peu le moral : j’y croise des maires « qui changent tout », lancés dans des démarches porteuses de transition, de revitalisation. Comprendre : les élus ne sont pas armés de manière égale pour relever les défis auxquels ils sont confrontés.

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Simon Worou, maire du village de Sainte-Juliette-sur-Viaur (Aveyron), novembre 2022. @ Frédéric Migeon

Le sujet commence à me happer, mais à ce stade j’ai encore quelques doutes sur son potentiel visuel. Je m’imagine déjà passer quatre heures d’affilée à scruter mes élus tapotant sur leur clavier ou devisant au téléphone, avant de tourner en rond trois heures supplémentaires dans un conseil municipal à rallonge. Surement très intéressant à mettre en scène dans un reportage écrit. Mais en photos ? Je finis toutefois par me convaincre : les maires sont des figures politiques généralement ancrées dans leur territoire ; ils sont surtout investis d’une forte charge symbolique. Tout le monde connaît le premier élu de sa commune. Tout le monde a un avis sur lui/elle et peut lâcher une ou deux anecdotes bien senties à son sujet, à la différence des présidents de Département ou de Région, voire des députés, moins accessibles, plus volatils et aux attributions parfois méconnues. Suivre des maires dans leur quotidien, c’est aussi raconter notre propre relation, en tant qu’administrés et citoyens, au pouvoir et à l’autorité. Ça y est, je suis chaud.

Je passe d’abord en revue les écueils qui me guettent, je réfléchis à mon approche. J’écarte d’emblée le recours au portrait posé comme dispositif photographique. Trop hiératique, trop figé, trop lisse aussi. Ce n’est pas mon sujet. Je veux des tranches de vie, des interactions. L’autre piège, c’est de flirter, malgré une approche reportage, avec la communication politique. Comme tous les élus, les maires sont des personnalités en représentation, conscients de leur image et a priori dotés d’une certaine force de persuasion. Je me dis que le temps long sera mon meilleur allié. En passant une semaine avec chacun d’entre eux, il devrait m’être possible de dépasser la simple documentation d’un quotidien sous contrôle, et de capter des échanges inopinés, des interstices, peut-être même des failles. Cela devrait aussi me laisser le temps de recueillir des témoignages, celui des maires, mais aussi ceux de leurs collaborateurs, de leurs détracteurs éventuels, et évidemment d’habitants de la commune. Demeure la question de l’empathie. Celle, inévitable et nécessaire – mais périlleuse –, que l’on développe au contact prolongé de toute personne pour laquelle on n’éprouve pas de rejet viscéral. À moi de laisser reposer mes images suffisamment longtemps avant de resserrer ma sélection finale. Rester honnête, me fier à mon intime conviction, ne pas me censurer pour de mauvaises raisons.

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Stéphanie Maubé, maire de Lessay (Manche), lors de l’inauguration de la foire agricole Sainte-Croix, septembre 2022. Refermant son parapluie (au centre), le préfet du département, Frédéric Périssat. @ Frédéric Migeon

J’aimerais suivre dans leurs tribulations une dizaine de maires ; la France en compte plus de 34 000. Pour une fois, le ratio est plutôt cool, je ne vais pas manquer de candidats. Le casting peut commencer. « La Gazette des communes » supplante « Le Monde » et « Libération » dans ma routine matinale. Au gré de ses articles thématiques, je glane des profils de maires symptomatiques des enjeux actuels ou au contraire atypiques. En épluchant (!) la presse en ligne, j’ai parfois l’impression de glisser dans un univers parallèle. Dans la Manche, un maire a été retrouvé crucifié – vivant, malgré tout – au beau milieu d’un champ. Dans le Jura, un autre – que je rencontrerai quelques semaines plus tard – est confronté à des profanations de tombes visant les familles de ses conseillers municipaux. Lui-même reçoit des menaces de mort. Des amis que le sujet inspire me livrent à leur tour des histoires, généralement moins dramatiques. Certaines sont même savoureuses. « J’ai une pote ; son frère, il est maire dans un village en Dordogne. Quand il doit régler un problème, il invite les gens dans sa cave, et il les fait picoler pour se les mettre dans la poche. » 

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Abdel Sadi, maire de Bobigny (Seine-Saint-Denis), reçoit dans son bureau des représentants de la communauté sikh, octobre 2022. @ Frédéric Migeon

Ma liste s’allonge, elle part dans tous les sens. Je consigne dans un cahier des dizaines de noms, en les annotant : âge, genre, région, étiquette politique (quand ils en affichent une), taille de la commune, nombre de mandats et, le plus intéressant, signes particuliers. Pour m’y retrouver un peu, je leur décerne des étoiles : une, deux, et jusqu’à trois pour ceux qui me semblent les plus prometteurs. Dans une optique kaléidoscopique, j’essaie de dégager un Top 10.Dix profils emblématiques et contrastés, en prenant en compte tous les critères de représentativité que je m’impose de respecter. Par exemple, seulement 20% des maires sont des femmes. Je me dis que mon casting doit témoigner de ce déséquilibre persistant. Ou encore : l’âge moyen des maires est de 59 ans, et seul 4% d’entre eux ont moins de 40 ans. Las, je me dis que j’ai droit à un maire jeune. Je veux des villages, des petites villes et des villes moyennes. Des élus du Sud, du Grand Ouest, du Nord, de l’Est et des Franciliens. Des maires de gauche, des maires de droite et forcément des sans-étiquette. Des néophytes qui découvrent la fonction et des vétérans qui enquillent les mandats. Tout cela incarné par dix élus. Hello, l’usine à gaz. Je décide de me donner un peu de mou. Je me simplifie surtout la tâche en assouplissant le critère régional, qui me semble le moins déterminant.

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Gil Avérous, maire de Châteauroux (Indre), décembre 2022. L’élu s’exerce brièvement au tir au pistolet, quelques minutes avant le lancement d’une soirée Miss France.  @ Frédéric Migeon

Je finis par envoyer à une dizaine de maires une première salve de mails, dans lesquels je détaille ma démarche et leur explique succinctement pourquoi ils m’intéressent. À ma grande surprise – mais après réflexion ce n’est peut-être pas si étonnant que cela –, la majorité d’entre eux acceptent ma proposition : en gros, se coltiner un photographe qui va scruter leurs moindres faits et gestes pendant une semaine et lui faire la conversation dès que l’occasion se présente. En fonction de la taille de la commune, j’étudie avec les secrétaires, les directeurs de cabinet ou directement avec les maires le détail de leur agenda, pour fixer la meilleure semaine. En septembre, Stéphanie Maubé accueille dans sa petite commune de Lessay l’une des plus importantes foires agricoles de France : la promesse d’interactions nombreuses et variées. Je prends. À la mi-décembre, Gil Avérous, le maire de Châteauroux, accueille l’élection de Miss France et inaugure les infrastructures destinées aux épreuves de tir des Jeux olympiques en 2024. Parfait pour observer ce « maire manager », qui mise sur l’événementiel pour sortir de son anonymat la préfecture de l’Indre. En Île-de-France, où j’habite, je planifie mes visites à la journée, jonglant pendant un mois entre les maires de Bobigny, de Clichy-sous-Bois et de Chanteloup-les-Vignes. Trois villes de la banlieue parisienne à l’histoire et à la sociologie assez proches, en particulier les deux dernières, mais gérées par des élus aux profils très différents les uns des autres.

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Dans le bureau d’Olivier Klein, maire de Clichy-sous-Bois (Seine-Saint-Denis), octobre 2022. @ Frédéric Migeon

Bien sûr, tout n’est pas aussi simple. Je connais quelques déconvenues. Dans mes prospections, je m’accroche à deux maires – mon Top 2 personnel. Après le mail d’approche, j’appelle, rappelle et rappelle encore. Au bout du fil, dans un cas, une secrétaire, d’autre l’autre, le directeur de cabinet. Au troisième ou quatrième appel, je perçois de l’impatience dans leur voix. « On revient vers vous », répètent-ils. Mais les semaines passent, et ils ne « reviennent » jamais. La politique, c’est aussi ça : décliner une sollicitation sans jamais dire non. Je finis par lâcher l’affaire. Après tout, j’ai besoin – pour ce projet-là, en tout cas – que les élus adhèrent à ma démarche. Une autre fois, je discute avec une secrétaire de mairie dont la ville a été placée sous les feux de l’actualité quelques semaines plus tôt. Elle adopte une attitude passive-agressive, cherchant selon toute vraisemblance à me décourager : 
— (Ton pète-sec) On a bien compris votre projet. Bon alors, on fait comment ? 
— Je me disais qu’on pourrait voir ensemble l’agenda de M. P. Si cela est possible, je souhaiterais le suivre dans des contextes variés.
— M. P. ne sort jamais de la mairie. Il reste dans son bureau.
— (Hésitant) Ah… Oui…
— …
— Peut-être des rendez-vous…
— Évidemment que M. P. a des rendez-vous !! Mais les gens, comme ça, ils ne vont pas être d’accord pour que vous les preniez en photo. Vous allez faire comment, hein ?
OK, je comprends l’idée. À la fin de la partie de ping-pong, à mon tour de décocher un morne « Je reviens vers vous ».

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Jocelyne Guérin (assise, au milieu), maire de Luzy (Nièvre), octobre 2022. L’élue et son « girl power », comme elle appelle ses collaboratrices, découvrent en visioconférence le projet de requalification du marché couvert que leur soumet un architecte.  @ Frédéric Migeon

Durant les quatre mois sur lesquels s’étalent les prises de vue, de septembre à décembre 2022, je m’ennuie rarement. Les journées sont longues, très longues parfois même, mais suivre des maires, appareil photo en main, s’avère une routine truffée de surprises, impondérables et autres échanges impromptus. Les élus s’accommodent de ma présence tournoyante. Ils oublient mon boîtier – que j’ai basculé en mode silencieux –, ou en tout cas font mine de l’oublier. L’un d’eux s’étonne même : « C’est perturbant de ne rien entendre. Je ne sais pas quand vous me prenez en photo. » Je souris. Une bonne dizaine de fois par jour, ils doivent expliquer à leurs interlocuteurs les raisons de ma présence. Ainsi, je suis « un journaliste parisien qui fait la tournée des maires français » ou, moyennant quelques raccourcis, « un photographe envoyé par le ministère de la Culture pour raconter les malheurs des élus ». Une fois, lors d’une assemblée en présence de quelques sommités locales, je deviens même « un photographe qui fait des photos. Mais rassurez-vous, il n’écoute pas ce qu’on dit. » (!!) À la fin de la réunion, le maire s’approche de moi, amusé : « J’ai dit ça pour que vous puissiez rester. » Les présentations sont parfois un peu rapides, et certains s’y méprennent. Ainsi, un autre jour, à l’issue d’une réunion rassemblant une vingtaine d’élus du département, un maire hors d’âge se plante devant moi. Il lâche sans préambule : « C’est combien ? » Moi : gros yeux, puis sourcils froncés. Il persiste, l’air comploteur : « C’est combien ? » Je bloque. Je dois dodeliner de la tête ou effectuer un autre mouvement bizarre avec mon corps, car il finit par étoffer son invitation : « C’est combien, la prestation, si je veux que vous me filmiez pendant une semaine ? »

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Abdel Sadi, maire de Bobigny (Seine-Saint-Denis), après une première étape au cimetière musulman lors des commémorations du 11-Novembre, 2022. @ Frédéric Migeon

Entre deux rendez-vous, presque tous les maires que j’accompagne prennent le temps de débriefer et contextualiser leurs rencontres. Ce n’est pas du luxe car, entre la profusion des sigles, les sabirs techniques, les chausse-trappes du double langage et mon attention focalisée sur la captation d’images, je passe à côté de certaines subtilités, parfois même de l’essentiel. Ils répondent patiemment à mes questions et remarques plus ou moins saugrenues, que je m’efforce de placer à un moment opportun : « Et c’était qui, le chauve qui a pas décroché un mot ? », « C’est quoi, le CLSPD ? », « J’ai l’impression que vous n’aimez pas beaucoup le préfet… », « Vous avez parfois le sentiment d’être inutile ? », « Donc, vous étiez fasciné par les chantiers de construction quand vous étiez petit… », « Et, sinon, la CDPPT, c’est quoi ? ». Dès que j’ai cinq minutes devant moi, j’extirpe le cahier de notes de mon sac à dos pour me mettre à jour. Mais ce n’est pas toujours possible. Alors, le soir, avant ma dernière cigarette, je gratte à toute vitesse les faits essentiels, les propos qui m’ont frappé, les anecdotes piquantes, les détails étonnants de la journée, avant qu’ils s’évanouissent.

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Jean-Claude Nevers, maire de Montfleur (Jura), décembre 2022. © Frédéric Migeon

Nous avons pour habitude de nous montrer critiques, voire intransigeants à l’égard de nos élus – et je pense que nous avons bien raison. Les maires fainéants, despotiques, malhonnêtes ou franchement incompétents existent. Sans me porter garant de l’irréprochabilité des dix élus que j’ai suivis, je les ai choisis parce que tous, selon des convictions parfois antagonistes, défendent des projets, voire ont une vision pour leur ville ou leur village. Mon propos n’est pas de savoir s’ils ont raison ou s’ils ont tort (quoique l’on puisse en discuter), mais d’ausculter l’environnement dans lequel ils s’efforcent de mettre en œuvre leur action. Je les ai choisis également parce que tous se retrouvent à la tête de communes situées dans des territoires fragiles. Et tous sont confrontés à des défis majeurs de cohésion sociale, de vitalité économique et de sauvegarde des services publics. Leur tâche est lourde de responsabilités. 

A priori, pas grand-chose de comparable entre d’un côté Gil Avérous, le « maire manager » de Châteauroux, entouré d’un directeur de cabinet et d’une équipe municipale fournie, par ailleurs président de l’association Villes de France, élu ministrable et proche de Nicolas Sarkozy, autrement dit au cœur du pouvoir, et de l’autre côté Jean-Claude Nevers, maire de Montfleur, village jurassien de 160 habitants, aux prises avec des menaces de mort récurrentes et des intimidations en tous genres émanant d’une poignée d’administrés, pour ainsi dire ses voisins. Tous deux pourtant déplorent, à leur échelle, le désengagement de l’État. Ne se sentent pas assez soutenus. 

Au fil de ces dix reportages, la quasi-totalité des maires que j’ai rencontrés se sont épanchés, à un moment ou à un autre, sur leurs déboires, leurs craintes pour l’avenir, les frustrations liées à leur fonction, et, dans les plus petites communes, leur sentiment de solitude. Un jour, alors que nous roulions en direction de Moirans-en-Montagne, pour assister aux célébrations de la Sainte-Geneviève, la patronne des gendarmes, Jean-Claude Nevers m’a glissé, d’un ton grave : « Vous savez, avant, dans le moindre village, il y avait plusieurs figures d’autorité : le maire, le gendarme, le prêtre, l’instituteur, le médecin… Aujourd’hui, dans la plupart d’entre eux, il n’en reste plus qu’une. Et ce sont les maires. »

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Mairie de Montfleur (Jura), décembre 2022. © Frédéric Migeon