Territoires : Centre-Val de Loire, Nouvelle-Aquitaine

Ce reportage est une mise en lumière des hommes et des femmes aides à domicile et des personnes isolées dont ils prennent soin, dans les territoires ruraux de l’Indre et de la Creuse. Valérie Couteron a suivi ces professionnels au cours de leurs trajets, photographié leurs moments de solitude, les lieux qu’ils traversent, leurs différentes tâches, les moments d’intimité et de partage avec les personnes fragiles.

Valérie Couteron
Valérie Couteron

Née en France en 1967. Vit à Crozon-sur-Vauvre. Depuis plus de vingt-cinq ans, Valérie Couteron photographie l’homme au travail et particulièrement ceux dont les métiers sont peu reconnus : ouvriers, hôtesses de caisse, femmes de chambre. Elle explore aussi le portrait dans d’autres univers tels que les Ehpad. Elle répond à des commandes pour Le Monde et le groupe Bayard Presse et pour diverses institutions et fondations, et travaille avec le musée Nicéphore Niépce de Chalon-sur-Saône où elle anime des ateliers photographiques.

 


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Un journal de bord sonore

Quelques jours avant le printemps, j’ai commencé à rencontrer, accompagner et photographier des aides à domicile. L’association « Familles rurales » d’Aigurande, dans le sud du département de l’Indre m’a mise en contact avec quelques unes de ses salariées et, en parallèle, a prévenu les bénéficiaires et leurs familles de mon projet. Bien sûr il y eu des refus catégoriques mais aussi des « oui » timides et quelques francs consentements à ma présence. Du côté des femmes, Vanessa, Sara, Anne, Katia, Sabah, Laurine, toutes ont été enthousiastes, chacune à sa manière, pour que je les suive dans leurs différentes interventions à Aigurande et dans quelques villages alentour. Enthousiastes parce qu’elles se sentent peu reconnues et qu’elles sont trop souvent considérées comme de simples femmes de ménage alors que leurs tâches sont multiples. En participant à mon projet, elles souhaitent que le public comprenne que le cœur de leur métier est l’aide à la personne. Les interventions durent entre ½ heure et 2 heures. Elles font rarement des journées complètes, leurs après-midi étant souvent hachées. Lorsqu’elles habitent dans un secteur proche, elles rentrent chez elles avant de repartir en soirée pour l’aide au repas et au coucher de leurs bénéficiaires. La voiture est évidemment indispensable à leur métier ce qui occasionne des frais important de carburant même si une petite partie est prise en charge par l’association. Mon journal de bord se fera sous forme audio, « comme à la radio ». Des petites pastilles de vies sonores me semblent la meilleure façon de raconter ces femmes, leur travail, les personnes dont elles s’occupent, pour que cette histoire photographique en cours de réalisation soit au plus près de la réalité que je vis à leurs côtés.

MARS 2022

 

Je retrouve Sara, auxiliaire de vie à Aigurande, le 18 mars 2022

 

Anne, aide à domicile à Orsennes, en intervention chez Odette, le 28 mars 2022

AVRIL 2022

 

Sabah, aide à domicile à Aigurande, en intervention auprès de Madeleine, le 6 avril 2022

 

Je retrouve Laurine, aide à domicile à Saint Plantaire, le 7 avril 2022

 

Katia, aide à domicile à Montchevrier en intervention auprès de Paulette, le 15 avril 2022

 

À l’approche de l’été

N’habitant pas très loin d’Aigurande, j’ai continué à suivre, entre les mois de mars et de juin, plusieurs aides à domicile dans leurs interventions. Nous commençons maintenant à bien nous connaître, je les appelle ou bien je les contacte par SMS.
« Sara, dis moi, je peux venir avec toi demain ? »
« Bonjour Vanessa, on se retrouve chez Suzette pour 14h ? »

L’avantage de cette proximité me permet d’enrichir mon travail et puis surtout, étant donné que leur temps travaillé se situe entre une demi-heure et une heure, cela me permet de retourner deux fois, quatre fois chez les mêmes bénéficiaires.

Il y a aussi des situations que j’ai envie de revivre et de photographier encore. Comme Sara qui va chez Jojo tous les vendredi matin pour lui donner sa douche, une intervention d’une heure, et qui y retourne le midi pour mettre le couvert, faire un peu de ménage et s’il y a le temps, boire un café. J’aime la façon dont elle s’occupe de lui, j’aime leurs échanges qui sont souvent drôles surtout quand Sara répond aux blagues grivoises de Jojo du haut de ses 93 ans.

Il y a aussi Sabah que j’ai souvent accompagnée chez Michel, un monsieur handicapé mental qui vit modestement dans une petite maison du centre bourg. Michel est très gourmand alors Sabah lui apporte parfois ses petits plats, elle n’a pas le droit mais ne peut pas s’en empêcher. Sabah et son grand coeur… J’ai plusieurs fois assisté à la petite toilette de Michel que Sabah fait dans sa cuisine. Sabah s’occupe de lui si bien et avec tellement de soin que ces scènes en sont poignantes. Et aussi toutes les fois où j’ai observé Michel manger avec un tel appétit qu’il en avale presque son assiette !

Mon aventure va bientôt se poursuivre dans la Creuse. Il m’a fallu du temps pour trouver une association partante pour le projet. Après plusieurs déconvenues, je vais commencer la semaine prochaine à suivre de nouvelles aides à domiciles de l’association CVAD (Choisir de Vivre À Domicile) sur ce beau territoire qu’est la Creuse et ce pendant tout l’été même si je dois rendre l’ensemble de mon travail à la mi-août.

Tiens… Parmi les quelques salariés il y a un homme qui est partant pour le projet, ils sont peu nombreux dans la profession, c’est intéressant… il s’appelle John et est anglais.

J’ai hâte.

MAI 2022

 

Sara me parle de son métier, à Aigurande, le 31 mai 2022

JUIN 2022

 

Sara chez Jojo, à Aigurande, le 3 juin 2022

 

Katia me parle de son métier, à Montchevrier, le 4 juin 2022

 

Katia chez Jeanine, à Montchevrier, le 5 juin 2022 

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JUILLET-AOUT 2022
 

Déborah, aide à domicile à Bonnat, en intervention chez Henriette, le 28 juin 2022
 

Sylvie, aide à domicile à Bonnat, dans sa voiture entre deux interventions, le 30 juin 2022

La Creuse et puis la fin


Ce sont pendant les derniers jours de juin que je rencontre Déborah, une jeune aide à domicile de 20 ans. L’association CVAD (Choisir de Vivre à Domicile) de Bonnat, dans le nord de la Creuse, m’a mise en contact avec elle ainsi qu’avec trois autres personnes qui souhaitent participer à mon projet.
Déborah ne veut pas rester aide à domicile très longtemps, elle aimerait passer le concours d’aide soignante, le même métier qu’exerce sa maman.
Je la retrouve un lundi à 7h, je monte dans sa voiture et nous faisons connaissance le temps d’arriver chez sa première bénéficiaire de la matinée, Henriette. Henriette nous accueille dans sa cuisine, dans la plus stricte tenue, une grande culotte blanche et c’est tout… Sans attendre, le dos courbé, Yvette nous précède dans la salle bain pour sa toilette quotidienne. Assise sur un tabouret, un sourire sur les lèvres qui ne la quittera pas, elle s’abandonnera aux soins de Déborah qui la lavera au gant, de la tête aux pieds. J’assiste à la scène, Henriette n’est pas pudique, elle a très simplement accepté ma présence. Après sa toilette, je la regarderai prendre son petit déjeuner, ses trois petites biscottes rouges de confiture bien alignées, rituel du matin, un autre beau moment. Nous quittons Henriette, je reviendrai, je l’espère.Les interventions vont s’enchainer, une heure la plupart du temps, jusqu’à la coupure entre 12h30 et 17 heures. Je suis très vite captivée par Déborah, sa façon gracieuse de bouger, sa parole très libre, sa personnalité franche, sa manière précise de s’occuper des gens… J’adore la photographier. Puis je vais rencontrer et passer du temps avec Sylvie, Monique et John. Les hommes représentent 3 % de la profession. John est anglais, originaire de Manchester, grand avec les bras tatoués, il a 52 ans et fait le métier d’aide à domicile en Creuse depuis 2 ans. Je retourne avec lui chez Henriette.Henriette l’aime beaucoup, elle lui parle avec son accent creusois, il lui répond avec son accent anglais. C’est touchant et décalé. En plus d’être très professionnel, John est drôle et laisse dans son sillage beaucoup de malice et quelques histoires loufoques avec son
chat fou dans le premier rôle. Le temps passe, le mois d’août a commencé et je vais devoir mettre fin à ce projet. Une fin non définitive, en effet je vais faire la connaissance de deux femmes aides à domicile qui souhaitaient participer à cette série photographique mais qui se sont manifestées tardivement. Elles travaillent sur le secteur de Châtelus-Malvaleix dans la Creuse… L’aventure continue.