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- Sarah Ritter - De l’extraction : un portrait français
Territoires : Hauts-de-France, Île-de-France, Normandie
Avec les Archives nationales du monde du travail (ANMT) à Roubaix et le Centre national de la recherche scientifique à Caen, puis au large des côtes normandes et jusqu’aux cimenteries d’Île-de-France, Sarah Ritter fait le récit géographique et chronologique de l’extraction, notamment des granulats marins. Son travail de terrain se mêle aux prises de vue en studio de matériaux récupérés (sable, roches, instruments de laboratoires...) et répond aux reproductions d’images d’archives issues des ANMT. L’ensemble des photographies joue ainsi avec une polyphonie temporelle et matérielle, une multiplicité de points de vue pour proposer une vision tactile de l’activité extractive, une réalité qui façonne nos vies et notre monde contemporain depuis les profondeurs du temps et de la terre, depuis l’histoire de la photographie aussi.
Née en France en 1978. Vit à Besançon. Sarah Ritter travaille d’après une méthode heuristique, par accumulation d’images trouvant au fil du temps leur ordre et leur logique associative. Ce processus permet aux photographies de mûrir et de s’apparier, formellement ou métaphoriquement. Elle a publié La Nuit craque sous nos doigts (2019), et a été lauréate du programme de recherche de l’Institut pour la photographie de Lille en 2021.
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MAI 2022
Première période aux archives nationales du monde du travail
Les Archives nationales du monde du travail concentrent 50 kilomètres linéaires de fonds, 50 kilomètres de fonds linéaires, cela veut dire que tous les documents alignés (rapports, cartes, dossiers, cahiers, livres, tirages, négatifs, lettres, affiches, etc) s’alignent sur 50 kilomètres de long. C’est énorme, je ne sais pas vraiment comment commencer et je me lance en tapant des mots clés conseillés par la présidente de salle. On n’a bien sûr pas accès aux documents directement, il faut demander des cotes au magasin. Je parie sur certains adjectifs ou détails, parfois je ne sais pas s’il y aura des documents photographiques.
C’est toujours fascinant de découvrir des tirages du XIX°. Ils sont chargés de temps et de sel d’argent. L’album de Béthune déploie le grand récit de la construction des installations minières - je reviens toujours à la richesse des détails, la quantité d’éléments si finement inscrits, décrits dans le tirage. C’est comme si le tirage produisait les objets, comme si les centaines de planches des échafaudages avaient été « dessinées » par la technique plutôt que « saisies ».
Avec les archives, je constate encore davantage à quel point les photographies sont matérielles, et non des représentations. D’abord des matériaux assemblés de telle sorte qu’on y reconnait des formes, qu’on a appris à reconnaître. Les planches de Béthune sont en argent et en pâte à bois, elles font quelques centimètres de long, quelques millimètres de large et l’épaisseur du papier : ce sont les planches de Béthune du « XIX° aujourd’hui ».
Il y a une tension énorme entre la sensation matérielle face à ces tirages, et la connaissance (la croyance ?) que ces formes représentent un temps passé, des espaces « réels ». Des reliques en somme, dont la manipulation paraît toujours hasardeuse, un peu comme une profanation. Je fais beaucoup de reproductions, en ayant l’impression d’archiver des archives et de tourner un peu en rond.
Il y a une douceur immense à prendre des photographies dans la salle de lecture, avec un sentiment de disponibilité infinie du photographiable. Une disponibilité foncière qui contredit toute mon expérience de photographe d’une certaine manière, comme si je sautais une étape. J’arrive directement à la case surfaces sans passer par l’espace de la prise de vue, l’espace où le corps est en jeu, en interaction.