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- Sarah Alcalay - Un « paradis » en béton. Bienvenue à Marina Baie des Anges
Territoire : Provence-Alpes-Côte d’Azur
« Marina Baie des Anges, plus belle Marina du monde. » C’est ce qu’annonce la brochure promotionnelle de 1973, à l’intérieur de laquelle quelques paragraphes décrivent en anglais le cadre idyllique de l’ensemble : quatre résidences (l’Amiral, le Baronnet, le Commodore, le Ducal) au cœur de la Côte d’Azur, mille six cents appartements, un parc de 8 hectares, une piscine, des restaurants, des boutiques, des palmiers, des terrains de tennis, une balnéothérapie, deux plages publiques et une plage privée, une capitainerie, six cents anneaux de bateaux. Chaque résidence possède une réception. Dans les appartements : sol en marbre, balcons et terrasses avec vue sur la mer. Ce reportage photographique va à la rencontre des habitants aisés de cet urbanisme unique en France qui a reçu en 2000 le label « Patrimoine du xxe siècle » du ministère de la Culture.
Née en France en 1983. Vit à Paris. Après quelques années passées dans la presse écrite, Sarah Alcalay décide de se consacrer à la photographie. En 2014, elle intègre l’agence Sipa pour laquelle elle couvre des meetings politiques, ainsi que la crise migratoire à Calais. Elle collabore avec plusieurs journaux et magazines comme Le Monde, Le Point et Le Parisien sur des sujets d’actualité politique et de société. Parallèlement au photojournalisme, elle est photographe de plateau pour des séries télévisées et des films.
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Journal de bord
JUIN 2022
Un « paradis » en béton. Bienvenue à Marina Baie des Anges.
Sur la couverture de la brochure publicitaire de 1973, il est écrit : « Marina Baie des Anges, la plus belle Marina du monde ». A l'intérieur, quelques paragraphes décrivent en anglais le cadre idyllique de Marina : quatre résidences (l'Amiral, le Baronnet, le Commodore, le Ducal) au cœur de la French Riviera, 1600 appartements, un parc de 8 hectares, une piscine, des restaurants, des boutiques, des palmiers, des terrains de tennis, une balnéothérapie, deux plages publiques et une plage privée, une capitainerie, 600 anneaux pour bateaux. Chaque résidence possède une réception. Dans les appartements : sol en marbre, balcons et terrasses avec vue sur mer. « The luxurious calm of the most fabulous meeting place of lovers of the sea and sun ».
Plaquette publicitaire de 1973
Commodore. Claude et Ghislaine ont convié Arlette et René. Arlette vit depuis 32 ans à Marina. Après avoir habité au Ducal puis au Baronnet, elle réside maintenant au Commodore à l'étage 0 mais il faut tout de même prendre l'ascenseur. René, 90 ans, se trouve au 8e étage du même bâtiment avec sa femme, aujourd'hui malheureusement souffrante. Arlette a travaillé pour la Japan Airlines. René était ingénieur en géophysique et son épouse, mannequin. Il a beaucoup voyagé, acheté une compagnie de micro électronique à Houston (Texas) qu'il a ensuite revendue. Claude, 84 ans, apprécie d'habiter dans un rez-de-jardin. Ghislaine préfèrerait un étage avec balcon.
Claude sert le champagne. 11 juin 2022. ©Sarah Alcalay
René : Marina ce sera notre mouroir mais on est déjà au paradis.
Ghislaine : On n’ouvrirait pas une bouteille de champagne ?
René : Il n'y aura peut-être plus de Marina avec la montée des eaux dans 200 ans... Les gens verront nos photos ?
Claude : Attention, c'est du très bon champagne.
René : Avant, ici, c'était des marécages.
Arlette : Les habitants de Villeneuve-Loubet ont protesté contre la construction de Marina. Aujourd'hui, avec les normes environnementales, ce serait interdit.
René : Les marinas, c'était la mode aux Etats-Unis. Je suis au 8e étage du Commodore. In medio stat virtus (la vertu est au milieu). A l'époque en 1973, on trouvait la position géographique de Marina exceptionnelle. On était près de l'aéroport, de la gare, de l'hippodrome... Le cadre était formidable.
Ghislaine: Moi, au début, je n’aimais pas ça. J'ai dit à Claude « jamais, pas la Marina ».
Arlette : « Marina Baie des Anges, la maison de retraite des gens riches », c'est ce qu'on entendait à la télévision !
René : Il y avait trop d'animation au début. C'était « buvez du champagne, faites la fête et allez vous coucher ».
Arlette : Monsieur Marchand, le promoteur, avait fait venir un éléphant sur un radeau. L'éléphant est tombé à l'eau. La fête a été interrompue.
René (il lit la brochure publicitaire de l'époque): Giscard, Sim, Pierre Cardin, Curd Jürgens et Nadine de Rothschild ont séjourné à Marina... Sim !
Arlette : C'était le grand luxe mais pas ostentatoire.
Entrée de Marina. Juin 2022 ©Sarah Alcalay
Commodore, 8e étage. Monique et Alain occupent un immense appartement avec terrasse et jacuzzi. Ce matin, Monique est absente. Alain est seul avec Roméo, un yorkshire parfaitement toiletté. Alain vit à Marina depuis 1974.
« J'ai acheté un bateau à Marina. C'est comme ça que j'ai connu le quartier. Je l'ai vue pour la première fois depuis la mer. Je vis au paradis. Marina, pour moi, c'est une prison dorée. Je peux passer un mois sans sortir. Le confinement, je ne sais pas ce que c'est ».
Commodore, 11e étage. Viviane, 72 ans, vit seule avec Cookie, un chat persan. Elégante, petite robe Lacoste bleu marine, elle sert un verre de San Pellegrino. Depuis sa terrasse, on aperçoit le Cap d'Antibes.
« Je suis à Marina depuis 3 ans. Les gens sont courtois, agréables. Ils ont l'air plutôt heureux. On associe rarement la retraite et le bonheur. Ici c'était un coup de cœur. Ce que je n'aime pas, c'est les galets de la plage. Et, il manque une pharmacie ».
Baronnet, 10e étage. « Jack l'australien », 71 ans, habite Marina depuis 12 ans. Il a acheté un petit appartement pour lui, au Baronnet, et un autre un peu plus grand, au Commodore, pour sa mère Ginette. Son balcon offre une vue panoramique sur le port. Parmi tous les bateaux, on distingue le Symphony, le superyacht de Bernard Arnault, amarré du côté de la Baie de Nice.
« J'ai vu la construction de Marina. On venait nager devant. Je rêvais d'y habiter. J'ai toujours vécu au bord de la mer : en Afrique, au Sénégal puis 23 ans en Australie... Je suis revenu pour m'occuper de ma mère qui habite au 4e étage du Commodore. Peut-être qu'un jour, je retournerai en Australie... »
Baronnet, 2e étage. À Marina Baie des Anges, tout le monde connaît Sylvie. En 1979, elle entre en tant que juriste dans le groupe Marina et y rencontre son mari, le promoteur Jean Marchand, à l'origine de ce projet architectural pharaonique.
« Au départ j'habitais au Ducal et depuis 1990, je suis au Baronnet. C'est un privilège de vivre ici. Quand j'ai commencé à travailler pour le groupe, j'ai trouvé que c'était un endroit hors du monde. La Marina a une forme à part entière. Elle enferme le port, on est complètement isolés. Vivre dans des bâtiments de cette classe architecturale, c'est magique. Ça a été très décrié à l'époque. Mon père m'a même dit : qu'est-ce que c'est que ces horreurs ? Aujourd'hui, les touristes viennent visiter Marina qui est inscrit depuis 2000 au patrimoine architectural français. Beaucoup de gens ont encore des aprioris. Ils pensent que c'est un site privé, qu'on ne peut pas entrer ou alors que les appartements sont des cages à lapins. Au final, lorsqu'ils entrent, ils sont agréablement surpris par l'âme du lieu. Jean (NDLR, Jean Marchand, promoteur du projet Marina) aurait eu 100 ans cette année. Mon mari, dans les années 70, organisait des soirées exceptionnelles. C'était la fête en permanence autour de la piscine du Lagon. Pour l'inauguration du port de Marina, il a eu l'idée de « l'éléphant à skis ». Avec l'aide de Mademoiselle Bouglione, ils ont installé un éléphanteau sur un radeau. Le pauvre est rapidement tombé à l'eau et a attendu tranquillement qu'on vienne le chercher. Aujourd'hui, les gens ont vieilli, il n'y a plus de fêtes comme à l'époque, la piscine Le Lagon vient d'être détruite... À la place, ils vont construire un hôtel de luxe. C'est une nouvelle ère qui va commencer, la Marina du futur ».
Sylvie Marchand, chez elle, au Baronnet, deuxième bâtiment construit dans Marina. Juin 2022. ©Sarah Alcalay
Commodore, 4e étage. Ginette, 95 ans, mère de « Jack l'australien », ne fait pas du tout son âge. Elle a même, pourrait-on dire, une pêche d'enfer et l'éclat de rire facile. Sur les étagères, quelques objets anciens, souvenirs des années africaines.
« Avant Marina, j'ai vécu 30 ans dans la brousse (elle imite l'accent africain). Qu'est-ce qu'on aimait bien l'Afrique, Abidjan ! La grande broderie accrochée au mur, je l'ai faite là-bas. Ici la vue est sublime mais les bateaux ne quittent jamais le port ! Je vais nager tous les matins vers 8h et ensuite, je regarde le sport à la télé. J'adore le foot, Roland Garros, le Tour de France... tous les sports ».
Ducal, 11e étage. Frédéric, 46 ans, est un homme pressé. Sans cesse au téléphone. Il travaille à Marina depuis 1997 et y vit depuis 1983. Il gère l'agence immobilière familiale. Il glisse entre deux coups de fil : « J'aurais du mal à habiter ailleurs ».
Le Ducale, dernier bâtiment de Marina dont la dernière pierre a été posée en 1993. ©Sarah Alcalay
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