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Territoire : Bretagne
Mouna Saboni est partie à la rencontre de jeunes Bretons, âgés de 25 à 45 ans, qui ont changé de cadre et de mode de vie suite à la crise sanitaire. Quand l’échelle des priorités se modifie, cohabitation intergénérationnelle, écovillage, rénovation d’ancien habitat apparaissent comme autant de nouvelles manières d’habiter le territoire.
Née en France en 1987. Vit à Rennes. Après un master d’économie sociale et solidaire, Mouna Saboni est diplômée de l’École nationale supérieure de la photographie en 2012. Son travail porte sur la quête de l’identité, la mémoire et la relation des individus à leur environnement, ainsi que le montrent ses projets en Palestine, en Égypte, en Arménie, au Maroc ou au Brésil. Elle est lauréate des Maghreb Photography Award avec « Traverser » (2019), et de la bourse photographie de la fondation Lagardère en 2020.
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Journal de bord
MAI 2022
NOTE #1
A l'annonce de la sélection de mon dossier pour la grande commande photographique, je suis en train de mener un projet en Jordanie sur le changement climatique et la disparition de l'eau. Je reviens de plusieurs semaines seule sur place. C'est la première fois que je vais mener un projet de long terme « à la maison », habituellement je le fais à l'étranger.
Le sujet de fond est finalement le même que le travail que je mène en Jordanie : faire face aux changements du monde, à cette crise climatique qui semble inévitable et celle sociale qui prend de l'ampleur. Le contexte est anxiogène et autour de moi, pas un jour sans que l'on en parle. Et puis l'annonce de la sélection pour cette grande commande arrive en pleines élections présidentielles, autant dire que l'heure n'est pas vraiment joyeuse. Je suis heureuse de pouvoir traiter ce sujet. C'est comme une respiration.
Je travaille sur le projet en Jordanie depuis maintenant plusieurs mois et il prend forme. Il dépasse amplement un territoire délimité par ses frontières. Je me rends compte que c'est un travail sur la disparition, sur la fin. La fin d'un monde. Il y a l'idée d'une catastrophe, d'un chaos à venir. Devant mes yeux, dans les images, il y a du désert, du désert à perte de vue. Des yeux qui piquent à cause de la poussière, des rayons du soleil trop forts. Il y a la chaleur. Le manque d'air. L'écrasement. Alors j'ai l'envie, le besoin, de prendre un peu le contre-pied. Dans ce même contexte, l'envie de travailler sur la construction. Sur quelque chose de positif. Comme une raison d'y croire un peu encore. De se battre. L'envie de suivre ces gens et de montrer ces vies qu'ils mènent dans leurs coins, loin de la lumière des villes, de la consommation à outrance, en retrait de ce monde et de ce système qui tourne à toute vitesse et qui écrase. Une forme de résistance.
Marine et Guillaume
Il faut littéralement aller au bout du monde. Suivre le vent et le sel dans l'air. Il y a des roches qui surplombent et le vert qui plonge dans l'océan. Il y a des couleurs qui pointent au sol. Il y a le son des vagues qui s'écrasent contre les parois. Il y a le silence.
Lors de l'écriture du projet, pour répondre à l'appel, j'ai identifié et contacté une dizaine de personnes qui seraient d'accord pour que je les suive si jamais mon projet était retenu. Parmi eux, Marine et Guillaume. Je leur rends visite pour la première fois en mai, les résultats de l'appel à projet ne sont pas encore tombés mais Marine est sur le point d'accoucher et je souhaite faire des images avant si jamais mon projet est sélectionné.
JUIN 2022
NOTE #2
Il y a un passage du livre « La tyrannie de la réalité » de Mona Chollet qui me reste en tête depuis le début de ce projet. Elle y développe une réflexion sur le rapport de l'Homme moderne à son environnement, de son ancrage (ou plutôt de son « non-ancrage »), de ce que ça veut dire « habiter un lieu ». Elle y cite aussi Augustin Berque : « En grec deux mots signifient « lieu » : topos et chôra. Le premier désigne le lieu abstrait, cartographiable. Le second, le lieu existentiel, avec toutes ses particularités qui le rendent unique: la chôra produit des hommes qui ne sont pas ce qu’ils seraient ailleurs, et ceux-ci, en même temps, agissent sur elles, la modifient, lui impriment leur marque. Elle est à la fois « empreinte et matrice » ; elle accueille et engendre ». Le résultat de cette interaction incessante, de ce cercle vertueux, les Anciens l'avaient baptisé « le poème du monde »... ».
« Le poème du monde »... je me dis que ça ferait un beau titre de projet.
Je découvre le travail de Lorraine Les Bains et lis « Maisonologue ». Elle prône notamment la nécessité de sortir de l'architecture conventionnée et cite des démarches qui consistent à « RECYCLER-REINVENTER-TRANSFIGURER l'habitat ». Réfléchit aux habitats légers qui permettent cette perméabilité du rapport intérieur/extérieur.
Aussi l'ouvrage « Éloge des mauvaises herbes » un recueil de textes écrits par différents contributeurs suite au démantèlement de la ZAD de Notre Dame Des Landes en 2018.
Comme toujours, avec n'importe quel livre qu’il soit, je recopie des passages entiers dans mes carnets. Ça m'aide à les retenir, à les intégrer et à pouvoir y revenir régulièrement.
Il y a David Graeberg qui écrit la capacité à inventer encore à un moment ou le système s'effondre, Virginie Despentes qui parle d'étincelle, d'un champ lexical à défendre : celui de l'idée d'utopie et de résistance... Pablo Servigne qui dit encore le récit d'un effondrement présent et à venir...
Lire accompagne toujours mes recherches et mon travail photographique. Cela donne, d'une part une assise théorique au travail mené mais surtout ça provoque des échos et parfois une seule phrase peut faire basculer les choses et influer mon regard et les images que je vais produire.
Chloé
C’est la deuxième fois que je rends visite à Chloé qui est devenue fleuriste suite à une reconversion. Elle a déménagé en bord de Rance il y a maintenant un an. A l’école, on lui a appris les conservateurs, le monde des fleurs mondialisé où les roses viennent d’Ethiopie et où l’on choisit ses tiges dans de grands frigos. Un monde où l’on marche sur la tête. Elle a décidé de mettre en place une démarche éthique et responsable en s’inscrivant dans un circuit local. Elle cultive elle-même ses fleurs, dans son jardin, en pleine campagne.
JUILLET 2022
NOTE #3
Lorsque je mène des projets j’aime, lorsque cela est possible, passer du temps avec les gens, partager leur quotidien afin de comprendre au mieux les problématiques, le nouvel environnement que j’aborde et de créer une relation avec les personnes que je suis pour pouvoir proposer des images les plus justes possibles. Cela implique que je peux passer des jours entiers avant de sortir mon appareil photo et de réaliser les premières images. Cela peut parfois être perturbant au départ pour les personnes avec qui je travaille mais je cherche et j’aime ce moment où les personnes agissent naturellement et oublient (autant qu’il se peut) l’appareil photo.
Elise et Corentine
Depuis février, Elise et Corentine ont toutes deux quitté leurs emplois à Rennes pour s’installer dans le Finistère. Elles réalisent elles-mêmes une partie les travaux de rénovation d’une ancienne grange sur le terrain du père de Corentine qu’elles ont acquise afin de la transformer en leur nouveau lieu de vie. C’est la troisième fois que je leur rends visite ce qui me permet de voir l’évolution des travaux et d’aborder avec elles les difficultés qu’elles peuvent rencontrer au fil des mois.
Depuis février, Elise et Corentine ont toutes deux quitté leurs emplois à Rennes pour s’installer dans le Finistère. Elles réalisent elles-mêmes une partie les travaux de rénovation d’une ancienne grange sur le terrain du père de Corentine qu’elles ont acquise afin de la transformer en leur nouveau lieu de vie. C’est la troisième fois que je leur rends visite ce qui me permet de voir l’évolution des travaux et d’aborder avec elles les difficultés qu’elles peuvent rencontrer au fil des mois.Depuis février, Elise et Corentine ont toutes deux quitté leurs emplois à Rennes pour s’installer dans le Finistère. Elles réalisent elles-mêmes une partie les travaux de rénovation d’une ancienne grange sur le terrain du père de Corentine qu’elles ont acquise afin de la transformer en leur nouveau lieu de vie. C’est la troisième fois que je leur rends visite ce qui me permet de voir l’évolution des travaux et d’aborder avec elles les difficultés qu’elles peuvent rencontrer au fil des mois.